Jean-Claude Kaufmann : Il y a un quiproquo concernant cette fête des amoureux. On confond l'esprit de la Saint-Valentin, ce qu'elle pourrait être ou redevenir et ce qu'elle est devenue parce qu'on l'a laissé se vider en ne s'impliquant pas au cours de ces dernières années.
J-C. K : Non, on a beau la critiquer, le nombre de personnes qui la célèbre continue de croître. D'après un sondage Ifop, un peu plus d'une personne sur deux fêtent l'amour chaque 14 février. Ça continue à fonctionner parce qu'il y a un désir croissant de jouir de plus de manifestation amoureuse. Elle a notamment la cote auprès des jeunes qui la considèrent comme un premier rite de passage, leur permettant de se dire qu'ils sont officiellement ensemble. Finalement, ce qu'il faudrait, c'est simplement lui redonner un peu de gaieté.
Derrière cette critique récurrente de la St-Valentin, il y a un rejet, une peur du sentiment et de l'expression du sentiment amoureux. C'est très tendance aujourd'hui tout comme le cynisme et le pragmatisme sont dans l'air du temps. Les bonnes vertus à l'instar de l'expression des bons sentiments et de l'amour en particulier sont difficiles à faire valoir. Et cela pose problème selon moi, car je suis convaincu qu'il y a au contraire un désir secret d'exprimer ça davantage que ce soit dans l'intimité du couple, de notre groupe d'amis et plus largement au niveau de la société. On rêve d'une société plus humaine, plus chaleureuse, plus fraternelle.
J-C. K : Ce que j'ai pu constater au travers de mon enquête, en creusant un peu, c'est que ceux qui tiennent des propos du type 'moi je ne fête pas l'amour sur commande' ou 'chez moi, c'est tous les jours la fête de l'amour' célèbrent moins l'amour que ceux qui célèbrent la Saint-Valentin. C'est souvent une critique bien commode.
Le fait que la Saint-Valentin se soit focalisée sur le couple, laissant les célibataires sur le bas-côté, est un phénomène récent. Elle devient, de fait, très stigmatisante, mettant en scène le bonheur des uns et écrasant les autres au passage. Ce n'est pourtant pas du tout l'esprit de la Saint-Valentin. On n'est pas censé célébrer que le couple mais l'amour au sens large. A l'origine, comme je l'explique dans le bouquin, c'était même les célibataires qui étaient mis à l'honneur ce jour-là.
J-C. K : Ce n'est pas nécessairement un mensonge quand une femme déclare que pour elle, la Saint-Valentin n'est pas importante. Elle se rend peut-être compte que dans son couple, ça ne marche pas trop mal, il n'y a pas spécialement de conflits, mais réclamer une rose reviendrait à dire à son partenaire et à soi-même : 'Il me manque de l'expression intime, de l'attention'. Elle va donc préférer s'autocensurer ou le penser presque inconsciemment pour ne pas laisser cette idée s'installer dans son esprit préférant se focaliser sur le reste de sa relation qui fonctionne plutôt bien.
Le rejet du côté des hommes est différent. Dans le fonctionnement conjugal classique, le couple constitue un lieu de confort, on peut se lâcher un peu chez soi, mettre son vieux vêtement, s'avachir sur le canapé à regarder un feuilleton débile - en sachant qu'il est débile on s'en fout. C'est une attitude un peu régressive mais nécessaire offrant aux partenaires un temps de respiration. Le problème, c'est qu'il ne faut pas que le couple ne se réduise qu'à ça. On doit aussi offrir des temps de présence à l'autre, d'attention, de satisfaction de ses désirs. Or, comme les hommes sont plus enclins à rester lover dans la logique du confort que dans celle de la présence et qu'ils en ont conscience, ils se disent que ne pas célébrer la Saint-Valentin peut être vu comme une déclaration de guerre et se sentent un peu obligés de faire quelque chose. Le problème, c'est que quand c'est fait par obligation et qu'ils s'en débarrassent –'Tiens, v'là ton bouquet, puis tranquille pour un an', c'est là que cette fête devient vide et commerciale.
J-C. K : Il arrive en effet que les hommes comme les femmes rejettent les aspects critiquables de la Saint-Valentin. Ce qu'elle est devenue dans son aspect extérieur : 'Je ne veux pas réserver au restaurant comme tout le monde'. Mais c'est, selon moi, une très mauvaise critique. Il est bon d'avoir un rituel collectif : tous en même temps, on fête l'amour, chacun à sa manière. On peut d'ailleurs le célébrer deux jours avant ou après, on n'est pas obligés d'aller au restaurant, on peut marquer le coup chez soi. Le but n'est pas de se montrer mais de saisir l'occasion. Tout comme Noël peut avoir des aspects barbants, cela ne nous empêche pas de rentrer dans l'ambiance de la famille. Pour la St-Valentin, c'est l'amour".
J-C. K : Au contraire ! Les couples, même s'ils n'ont rien à se dire, vont essayer de s'unir, mettre en place une politique de défense commune, critiquant ensemble la table d'à côté qui se met en scène ou qui parle trop fort. Et puis il faut se rappeler que le but de la Saint-Valentin est de célébrer l'amour tous ensemble, de lui donner plus de place dans la société, de manière inventive et personnelle.
J-C. K : Pour les hommes, cette fête peut devenir de plus en plus compliquée au fil des ans. La première année, on offre un bouquet, mais que dira notre conjointe si l'on offre le même bouquet l'année suivante ? Ils se retrouvent alors condamnés aux travaux forcés de l'amour. Ce qui, d'après moi, n'est pas une si mauvaise chose.
La Saint-Valentin constitue souvent un rattrapage sur lequel on compte pour vivre un moment d'intensité qui souvent fait défaut au quotidien, c'est une manière de relancer la machine en quelque sorte.
Pour d'autres, offrir un bouquet de fleurs va leur permettre de faire passer un message lorsqu'ils n'arrivent pas forcément à le faire avec des mots. Enfin, la Saint-Valentin est une occasion de quitter le quotidien pour plonger dans un bulle de romantisme l'espace d'une soirée.
J-C. K : Oui. On devrait célébrer l'amour sous toutes ses formes, l'humanité, la générosité, que ce soit une fête autour de l'idée d'un autre monde ouverte à tous. Aujourd'hui, on évolue dans une société dominée par l'argent, calculatrice, égoïste, on manque d'un petit plus qui nous permettrait de briser notre carapace et d'aller plus vers l'autre et vers les autres. La Saint-Valentin constitue l'un de ces moments privilégiés. Au lieu de lui tourner le dos, il faudrait finalement plutôt la réinventer.
Saint-Valentin mon amour ! Jean-Claude Kaufmann, aux éditions "Les Liens Qui Liberent", 18 euros