A l'heure où rien n'est de trop pour rappeler l'évidence des inégalités salariales (big up aux détournements satiriques les plus aiguisés), une récente étude américaine fait entendre une voix alternative - et tout aussi instructive. Si l'on en croit les réponses de 6 000 ménages sondés au cours des quatorze dernières années, la majorité des hommes seraient "plus heureux" lorsque leurs épouses gagnaient 40 % des revenus du foyer. Tendre vers l'égalité salariale ne leur déplaît donc pas, loin s'en faut. Mieux : cela les détourne même de leur tristesse, nervosité et agitation - autant d'émotions prises en compte lors du sondage.
C'est d'ailleurs l'autrice de l'étude, l'économiste Joanna Syrda, qui l'affirme sans détour : "Les maris qui ont sciemment épousé une femme qui gagnait un revenu similaire ne souffrent pas de détresse psychologique". Voilà une jolie formulation. Non seulement l'écart salarial fait du mal aux femmes, mais il fait aussi du mal aux hommes. Car cela leur fait ressentir cette fameuse "détresse", apaisée dès lors que leur épouse partage peu ou prou la même rémunération. Il faut avouer que, nous aussi, les inégalités salariales ne nous rendent pas trop jouasse : rappelons qu'en France, les femmes en couple gagnent en moyenne 42% de moins que leur conjoint... Raison de plus pour lutter en faveur de l'égalité salariale. Banco. Oui, mais ce n'est pas tout ce que nous révèle cette étude...
Car figurez-vous (et ce n'est pas non plus un scoop) que cette "détresse" psychologique est à échelon variable. Effectivement, comme le développe Joanna Syrda, les hommes ne sont pas simplement tristes lorsque leurs femmes font état de revenus inférieurs aux leurs. Ils le sont également... quand elles gagnent plus ! Pas de bol, mais cette "détresse des hommes commence à augmenter à mesure que les femmes commencent à les distancer", écrit encore l'économiste. Moins, ce n'est pas assez, mais plus, c'est trop. Cet enjeu pas si anodin de la "responsabilité financière" au sein du couple est donc à deux facettes. Car lorsque leur épouse présente une plus forte rémunération, le mari se sent en état de "dépendance économique".
Dans les deux cas, c'est la légitimité des femmes au sein du monde du travail qui semble contestée. Pour Joanna Syrda, cette évaluation démontre bien que les stéréotypes de genre perdurent envers et malgré tout, "pour tout ce qui concerne la division du travail des maris et des épouses en dehors du ménage". Ces stéréotypes de genre ne sont pas simplement de banals outils sociologiques, non : leur incidence sur "le niveau de stress" des hommes, et donc sur la santé psychologique, est suggéré par les chiffres. Net.
L'un ne va d'ailleurs pas sans l'autre : l'émotion répond à un stéréotype bien ancré, source de pression sociale, de rancoeur, de jalousie. Et pour l'érudite, pas de doute, tout cela a "un impact négatif", non seulement sur la carrière des femmes, mais également sur la santé mentale des hommes. Pour ce qui est de l'égalité des sexes, le bilan est donc plutôt mitigé.
"Le système est en train de changer, mais il faut se demander si les normes de genre ralentissent les choses", s'alerte en ce sens Joanna Syrda. Mais la bonne nouvelle, c'est que le système change, justement. Petit à petit. L'économiste l'affirme : aux Etats-Unis, les situations où la femme gagne autant que l'homme représentent pas moins d'un foyer sur trois.