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Sex Story : la BD décapante et féministe qui raconte nos histoires de fesses
Publié le 25 mai 2016 à 17:51
Par Anaïs Orieul
Sortie à la mi-avril, la bande-dessinée "Sex Story" n'en finit plus de faire parler d'elle. Cette histoire de la sexualité racontée avec un humour décapant a conquis les Français et avoisine aujourd'hui les 35 000 exemplaires vendus. Alors que la BD vient de connaître sa deuxième impression, nous avons discuté avec Philippe Brenot, le psychiatre et anthropologue à l'origine de "Sex Story". Et bien évidemment, on a surtout parlé cul.
"Sex Story, la première histoire de la sexualité en BD" "Sex Story, la première histoire de la sexualité en BD"© Les Arènes BD
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Terrafemina : Pourquoi avoir choisi de raconter l'histoire de la sexualité sous forme d'une bande-dessinée ?

Philippe Brenot : C'est un projet que j'avais en tête depuis 20 ans. On a mis un an à coucher tout ça sur papier avec Laetitia Coryn (auteure et illustratrice de la BD, ndlr), mais ça fait 20 ans que je l'écris, que les choses se constituent. Ensuite, effectivement, on est allé chercher plus de détails, mais ce n'est pas quelque chose qui naît du jour au lendemain. Avant Sex Story, j'ai écrit une quarantaine de livres qui sont tous des étapes vers la compréhension de la sexualité. Je suis psychiatre mais je suis aussi anthropologue, ce qui veut dire que j'interroge l'origine. Je ne me demande pas uniquement quels sont les problèmes sexuels aujourd'hui, j'essaie aussi de les comprendre en les relativisant dans le temps.

A la lecture, on remarque quelque chose de flagrant : à quel point l'inceste a été accepté pendant plusieurs décennies. Pourquoi cette relation a mis autant de temps à devenir inacceptable ?

P.B. : Si on part des débuts de l'humanité, on remarque que dans toutes les légendes, à l'origine était l'inceste. Lorsqu'on a Adam et Eve qui ont deux garçons, comment voulez-vous que ces deux garçons se reproduisent en dehors de leur mère ? Mais là, c'est un jeu. Parce qu'il est évident que l'humanité n'est pas née d'un couple qui est apparu du jour au lendemain. Et si on en parle de façon amusante dans la BD, c'est pour dédramatiser et décomplexer un sujet très compliqué. Si vous écrivez ça sous la forme d'un livre, l'inceste devient tout de suite dramatique parce que bien évidemment, c'est dramatique. L'inceste est raconté dans les légendes pour dire symboliquement qu'il faut interdire les relations entre les proches. Mais suivant les sociétés, cet interdit évolue. Certains incestes vont ainsi jusqu'au 10e degré. Ce qui est aussi fascinant, c'est de voir que dans le monde animal, il n'y a pas d'inceste. Les jeunes femelles changent de groupe dès qu'elles deviennent pubères. Dans l'espèce humaine, cette habitude l'évitement de l'inceste animal est devenu très fragile parce qu'il a été transmis par le langage. Du coup, les choses défailles. Le père abuse de sa fille, la promiscuité est très importante... et ce n'est que récemment, en démocratie, qu'on a dénoncé l'inceste et qu'on a décidé de le punir.

Sex Story : la première histoire de la sexualité en BD © Philippe Brenot/Laetitia Coryn
Cette BD est aussi incroyablement féministe. Vous démontrez avec humour à quel point les femmes ont été oppressées, comment la faute retombait sur elles quand leurs maris étaient infidèles ou impuissants. On a beaucoup avancé depuis le Moyen Âge, mais diriez-vous qu'en termes de sexualité féminine, il y a encore beaucoup de progrès à faire ?

P.B. : Oui, il y a encore énormément de progrès à faire. Avec le recul, je dirais même que Sex Story n'est finalement qu'une histoire de la domination masculine. Je le dis dans la BD et je le redis, il faut vraiment que les gens le comprennent : à l'origine de l'humanité, la domination masculine n'existait pas. Et ça, personne ne veut l'entendre. On se dit qu'un grand singe ou qu'un gorille doit frapper sur sa femelle si elle l'emmerde. Mais non, pas du tout ! Il n'y a aucune domination dans le monde animal puisque comme il n'y a ni couple, ni famille, il n'y a pas d'interactions intersexe. Deux mâles vont se casser la gueule pour la dominance, deux femelles vont faire de même, mais jamais un mâle ne va casser la gueule d'une femelle. C'est quelque chose qu'on ne voit pas et c'est même parfois l'inverse lorsqu'il est question de nourriture.

Dans l'humanité, on se rend compte qu'il y a cette mainmise des hommes sur les femmes, et toute l'histoire de Sex Story c'est montrer progressivement les tentatives de libération de la condition féminine. On se rend compte que l'aboutissement actuel, du fait du féminisme né à la fin du XIXe, c'est la libération des femmes et de deux qui sont assimilés, comme les homosexuels. C'est-à-dire tous ceux – et c'est terrible – qui sont pénétrés. On le voit dans la BD, dans l'antiquité gréco-romaine, ceux qui pénètrent sont supérieurs et ceux qui sont pénétrés sont inférieurs. Et qui sont les inférieurs ? Les femmes, les homosexuels, les esclaves... C'est quelque chose de terrible. Maintenant, est-ce que tout ça est terminé ? Et bien non. La France est un pays extrêmement favorisé mais il y a toujours un relent de domination. Je dirais même qu'un tiers des hommes a encore beaucoup de mal à accepter l'égalité des sexes. Donc il y a encore des progrès à faire.

Sex Story © Philippe Brenot/Laetitia Coryn
Vous montrez aussi que si Freud a permis de se rendre compte que les enfants avaient une sexualité, il a répandu quelques idées fausses, notamment que l'orgasme clitoridien était infantile et qu'après la puberté, l'orgasme était transféré au vagin. Pour lui, il y avait donc deux orgasmes, ce qui est en fait faux. Est-ce qu'en 2016 ces idées ont toujours cours ?

P.B. : Freud est quelqu'un de très important. En 1925, c'était un type très moderne. Ce qu'il disait, c'était révolutionnaire. Mais si on continue à suivre ses idées aujourd'hui, c'est complètement débile. Parce que Freud à un moment a dit : "non, il n'y a pas de différence entre orgasme vaginal et clitoridien". Ce sont ces disciples qui ont continué à dire ça. Lui, il a dit plusieurs fois qu'il s'était trompé sur certaines choses. Et le problème, c'est qu'on a figé un personnage. Les psychanalystes orthodoxes ne veulent parler que de ce qu'il a dit en 1925. Ok, mais on n'est pas en 1925 ! Freud, à l'époque, il pensait comme tout le monde qu'il n'y avait qu'un sexe. Il y a ceux qui en ont un et ceux qui n'en ont pas. Les premiers s'appellent les hommes, les autres s'appellent les femmes. Selon lui, les hommes avaient peur de le perdre dans la castration et les femmes rêvaient d'en avoir un. C'était son idée à ce moment-là. Effectivement, il a aussi dit que les femmes qui se touchaient le sexe une fois adultes restaient infantiles, et qu'une vraie femme devait jouir sous le pénis de l'homme. Ce n'est pas ce qu'on sait de la sexualité aujourd'hui.

Sex Story, bande-dessinée © Philippe Brenot/Laetitia Coryn
On voit également que chaque période de libération sexuelle était suivie d'une grande répression...

P.B. : C'est très simple. Comme je l'expliquais tout à l'heure, il y a d'abord la mainmise des hommes sur les femmes, et donc, il y a des luttes. Il y a une période extraordinaire en Egypte où les femmes pouvaient devenir pharaonnes. Ce sont quand même les seules femmes de l'Antiquité qui pouvaient obtenir cette position. Pourquoi cette égalité ? Certainement parce qu'ils avaient découvert les mécanismes de la contraception. Et quand la femme est libérée de ces contraintes, elle peut vivre à égalité avec l'homme sa sexualité. On a ensuite Aspasie, la compagne de Périclès. C'était une femme importante, qui osait dire des trucs. Ça a créé un petit mouvement féministe mais ça a aussi été très vite abandonné. Ovide, quand il écrit L'art d'aimer et qu'il évoque la liberté des individus sans distinction des sexes, il est exilé et on l'empêche de revenir. Il y a des voix qui se sont élevées pour dire que les femmes ne sont pas inférieures. Mais malheureusement, c'est la pensée d'Aristote qui a prévalu. Si je devais réécrire Sex Story aujourd'hui, je changerais certaines petites choses. Par exemple, lorsqu'on parle de la libération sexuelles des années 60 et 70, en fait, ce n'est pas la libération sexuelle. C'est la libération des femmes et des homosexuels. La sexualité des hommes a toujours été libre, on oublie de dire ça ! Aujourd'hui, les femmes ont enfin accès à leur intimité. Mais dans certaines régions du monde, il y a encore des hommes qui ne veulent pas s'assoir là où des femmes se sont assises. C'est quand même hallucinant.

Sex Story, histoire de la sexualité en BD © Philippe Brenot/Laetitia Coryn
Votre dernier chapitre est consacré à la sexualité du futur (sexavenir). Vous évoquez "une sexualité libérée des contraintes de la relation humaine" avec des robots sexuels et des puces implantées dans le cerveau pour jouir sur commande. C'est un futur dystopique que vous nous prévoyez là...

P.B. : Il fallait bien une fin (rires). Mais si Sex Story marche bien, c'est parce qu'il y a un choc très intéressant des dessins et de l'humour de Laetitia Coryn avec ma connaissance de la sexualité. L'humour décapant de la BD permet de faire passer des trucs énormes, des trucs qui n'auraient pas été drôles du tout si j'avais écrit ça tout seul sous forme de livre. La BD s'écrit comme un scénario, il faut des chutes à chaque fin de chapitre. Pour la fin, on a beaucoup hésité mais il fallait une chute intéressante. C'est pour ça que les dernières pages montrent le futur, ce n'est plus de l'histoire, c'est de la fiction. On fait une sorte de boucle avec le début de l'humanité en imaginant une montée des eaux ou une catastrophe écologique. Donc nous avons presque un nouveau monde. Les individus du futur sont différents, ils ne font plus l'amour naturellement, ils cherchent des orgasmes artificiels. Mais en même temps, on voit que deux personnes s'évadent de ce monde cadenassé pour faire l'amour. Et là, les autres se demandent : "Qu'est-ce qu'ils font ?" Je ne peux pas dire que c'est le futur. Je pense qu'on continuera à faire l'amour, et j'aimerais bien qu'on développe notre sensualité. Mais je n'en suis pas certain du tout, parce que ce que l'on risque, ce sont des fortes répressions.

"Sex Story", BD de Philippe Brenot et Laetitia Coryn © Philippe Brenot/Laetitia Coryn

Sex Story, la première histoire de la sexualité en BD, de Philippe Brenot et Laetitia Coryn

Ed. Les Arènes BD, 208 pages, 24,90 euros

Mots clés
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