Deux mots qui ne sont pas antinomiques dans l'oeuvre de la cinéaste indé Anoushka. Au gré de ses films X, la réalisatrice propose effectivement une vision intime et politique de la pornographie, réappropriée par-delà les clichés pour sexistes en mal de sensations, les scénarios éculés, les corps-objets beaucoup trop banalisés dans le porno dit "mainstream". Le désir féminin y occupe une vraie place, loin d'un surjeu factice et mécanique.
"Je veux montrer le corps des femmes et les sexualités avec éthique, bienveillance et surtout militantisme, dans un cinéma qui a longtemps été dominé par les hommes, pour les hommes", expliquait-elle dans les pages de Terrafemina l'an dernier. Rebelote avec son nouveau film : Chaos, diffusé ce 2 décembre sur Canal + à 00:16 (la fameuse case du premier samedi du mois). Un projet ambitieux que ce sixième long métrage : "C'est mon film le plus personnel et le plus fort", promet d'emblée sa réalisatrice.
C'est l'histoire douce amère d'une femme, Charlie, qui va chercher à se "réparer" après une relation toxique, auprès d'autres femmes, dans un centre "sororal". Un pitch qui entremêle enjeux de société forts, idéal collectif (la sororité) et... Sexualité bien sûr. Car il s'agit avant tout de se réapproprier son propre corps.
Chaos, qui se définit comme une "expérience cinématographique unique" portant sur le thème toujours autant d'actualité hélas des violences conjugales, propose des séquences de sexe explicites pour mieux inciter son public à développer une réflexion militante au delà du "cul" cru. Quitte à ce que cet engagement en vienne à déboulonner les formes : on pense à ces interludes étonnants qui mettent en scène... des marionnettes !
Et si le couple a toujours été au coeur du porno, il se retrouve ici volontiers épinglé, déconstruit... Et pas forcément montré sous son envers le plus harmonieux. Alors que l'amour à deux - ou à plusieurs - est dans les films du genre les moins inspirés un bête prétexte à enchaîner les séquences de lit plutôt anecdotiques, il permet ici entre deux instants charnels de saisir en images le phénomène d'emprise propre aux relations toxiques.
Quitte à penser le cul au-delà d'une sacrosainte hétérosexualité trop souvent érigée en norme ! En traitant un thème aussi sensible, Chaos se permet aussi une inversion : la réappropriation très personnelle d'un univers super codifié, le X, considéré par tout un pan des militantes féministes comme une forme de violence faite aux femmes, ici investi afin... De dénoncer justement les oppressions que le patriarcat leur fait subir au quotidien.
Le champ du porno lui-même s'est volontiers retrouvé chamboulé par la réalisatrice, puisqu'elle a invité sur le plateau des professionnels essentiels et pourtant trop éludés des productions X quand il s'agit de superviser les scènes les plus impudiques entre les comédiens : les coordinateurs et coordinatrices d'intimité, bien sûr. Un job encore trop incompris qui a gagné en visibilité dans les fictions plus "mainstream", avec des séries comme Normal People.
Décrite par sa cinéaste comme "une ode émouvante à la sororité et à la force des femmes", Chaos est certes une anatomie frontale d'un couple - comme a pu le faire une certaine réalisatrice lauréate de la Palme d'or - mais surtout une déclaration d'amour à ces femmes qui, au coeur de ce X renouvelé, prennent plus que jamais le pouvoir. Ce n'est pas trop tôt !
Chaos, par Anoushka.
Avec Misungui, Rico Simmons, Lullabyebye...
Diffusé sur Canal+ le 2 décembre à 00h16.