Virginie Calmels le dit : elle n'a "pas de plan de carrière". Et son CV parle pour elle. En trente ans de carrière, elle a notamment été à la tête des groupes médias Canal + et Endemol Monde entre 1998 et 2014 avant qu'Alain Juppé ne "vienne la chercher" pour lui proposer de devenir première adjointe au maire de Bordeaux. Après une carrière politique fulgurante (elle a été numéro 2 de LR), celle qui se revendique libérale et place l'emploi au coeur de son engagement a depuis démissionné de tous ses mandats pour lancer un nouveau projet en 2020 : l'école Futurae qui a pour vocation de connecter les besoins des entreprises à la formation des nouveaux talents.
Nous avons échangé avec cette bosseuse acharnée de son parcours iconoclaste. Sexisme, charge mentale, représentation de femmes en politique... Virginie Calmels se confie avec ce recul qu'elle chérit tant aujourd'hui.
Virginie Calmels : Plutôt comme une femme d'entreprise, engagée en politique. Je ne suis pas une femme politique dans le sens où cela n'est pas mon métier. Je suis une citoyenne engagée, je fais du caritatif en parallèle à mes activités professionnelles- je suis actuellement présidente d'honneur du Fonds de solidarité de Oui Care qui lutte entre autres contre les violences faites aux femmes et contre les inégalités femmes-hommes. J'aime avant tout me mettre au service d'une cause.
V.C. : Je n'ai jamais eu de plan de carrière. Au moment précis où Alain Juppé m'a contactée pour me demander de m'engager à Bordeaux à ses côtés, j'avais quitté la présidence d'Endemol France et la direction générale d'Endemol Monde. J'avais monté ma propre entreprise, j'étais plutôt sur un projet entrepreneurial. Je n'avais pas d'engagement politique en tête. D'ailleurs, j'avais souvent pensé que si je m'engageais, ce serait lorsque mes enfants seraient grands.
Mais ça s'est fait autrement : j'ai été élue à Bordeaux en 2014 et mes enfants avaient 8 et 6 ans. J'ai saisi cette opportunité : je suis née à Bordeaux et ça a été une décision très instinctive car c'est ma ville de coeur. Et puis j'avais du respect pour Alain Juppé. Je sentais que j'aurais des regrets si je refusais. J'ai donc pris ma décision très rapidement. Une décision qui a été parfois perçue comme iconoclaste.
V.C. : Je ne regrette rien, ce n'est pas dans mon tempérament. Je pense que chaque expérience fait grandir et permet d'acquérir une nouvelle vision de la vie, y compris la dureté du monde politique. J'ai beaucoup appris. On m'a propulsée très vite, très haut. J'ai été première adjointe au maire de Bordeaux, puis un an plus tard tête de liste aux élections régionales dans la plus grande région de France, la Nouvelle Aquitaine. Je me suis retrouvée ensuite au coeur d'une campagne présidentielle, puis numéro 2 du parti Les Républicains.
Cela a été fulgurant alors même que la droite accumulait un certain nombre d'échecs. Mon destin étant lié à celui d'Alain Juppé, s'il avait gagné la primaire en novembre 2016, j'aurais peut-être été maire de Bordeaux ou ministre. Mais ça ne s'est pas passé ainsi. Et ce n'est pas pour cela que cette expérience ne méritait pas d'être vécue. D'ailleurs, c'est l'un des enseignements de la politique : ça ne se passe jamais comme prévu (rires).
V.C. : Je ne crois pas que ce soit une spécificité des Républicains. Il y a assez peu de femmes dans tous les partis. On ne le dit pas assez, mais l'un des enjeux de l'engagement politique, c'est que c'est ultra-chronophage. C'est un engrenage et il n'y a pas de pauses. Vos soirées et vos week-ends sont tout le temps pris. Et je pense qu'il y a une difficulté pour les femmes qui ont des enfants de mener de front un engagement politique et une vie de mère.
Lorsque j'étais patronne de grands groupes, j'avais la possibilité d'être autonome, de gérer mon agenda, de travailler de chez moi. En politique, c'est exactement l'inverse : il y a essentiellement du présentiel, vous avez besoin d'être sur le terrain, vous ne pouvez pas télétravailler. Cela rend la chose plus compliquée, notamment quand on a des enfants en bas âge. Et je pense que c'est aussi l'une des raisons pour lesquelles il y a beaucoup moins de femmes.
Et puis il y a la dureté de ce monde : lorsque vous êtes une femme, vous encore soumise à la critique sur votre apparence. Nos tenues, nos coiffures ne sont pas standarisées contrairement aux hommes- qui sont tous en costume bleu marine.
Dans le milieu du business, qui n'est pas particulièrement tendre non plus, les règles du jeu sont souvent méritocratiques, davantage liées à vos performances individuelles.
V.C. : Le sexisme en politique, je l'ai vécu. C'est un milieu encore archaïque de ce point de vue-là par rapport à d'autres milieux, notamment de l'entreprise, où le fait de voir une femme avoir des responsabilités pose moins de problèmes. Ce machisme existe, mais je ne pense pas pertinent de le brandir à tout bout de champ. Comme s'il fallait trouver des excuses où il n'y en a pas forcément.
Concernant ce meeting de Valérie Pécresse, il y a sans doute eu un décalage dans la perception de son discours à la télé car on n'entendait pas les retours de la salle. La construction du discours en lui-même n'était pas non plus incroyable. Sa prestation a surpris par rapport à d'autres meetings réussis lorsqu'elle était candidate aux élections régionale par exemple.
Mais oui, du sexisme en politique, il y en a. Et qu'elle en ait été victime est une évidence.
V.C. : Lorsque j'ai été proposée pour être tête de liste aux élections régionales, Henri Guaino avait dit, sans doute en voulant faire un "bon mot" : "On ne va pas investir Loana", référence à mon implication chez Endemol. Une connotation plus que sexiste.
Parfois, le machisme se retrouve dans une forme de mépris. Je l'ai vécu plein de fois : lorsqu'une femme prend la parole au micro par exemple, ces messieurs considèrent que cela doit être très rapide, pour ne pas dire expéditif.
Autre exemple très fort : quand vous êtes une femme, on vous dénie parfois le droit de penser ou d'exister par vous-même. J'avais 20 ans de carrière derrière moi, je n'ai jamais été "la chose" de Juppé. Et je ne suis pas devenue "la chose" de Fillon ou de Wauquiez. On m'a fait des procès en trahison lorsque j'ai soutenu Fillon après la défaite de Juppé à la primaire en 2016. S'il l'avait gagnée, j'aurais évidemment continué à le soutenir. C'est un procès que beaucoup de femmes connaissent. Comme si, parce qu'on est des femmes, nous étions inféodées à un mentor ou un pygmalion. Alors que ce n'est absolument pas le cas chez les hommes. J'existais avant la politique et je ne devais pas tout à un seul homme.
V.C. : C'est compliqué. Car la politique est un renoncement à beaucoup de choses. Ca reste un engagement noble mais très difficile.
V.C. : Oui, et d'ailleurs, derrière la carrière de beaucoup d'hommes politiques, il y a souvent une femme qui assume un certain nombre de tâches. Cela vaut aussi pour le milieu de l'entreprise. Les femmes doivent souvent se démultiplier sur plusieurs fronts tout en ayant des responsabilités fortes tandis que les hommes délèguent à leur femme. Et on ne va pas d'un coup de baguette magique changer tout ça. J'avoue que de mon côté, il y a des choses, comme aller chez le pédiatre, que je n'ai pas envie de déléguer. Mais c'est un choix personnel.
V.C. : Cette remarque m'avait beaucoup marquée. Surtout que j'ai fait des enfants beaucoup plus tard, c'était d'autant plus inapproprié. Ce n'est pas parce qu'on se marie qu'on fait des enfants immédiatement (rires).
J'ai également eu un moment "amusant" lorsque j'étais patronne d'Endemol France. En 2008, nous étions en plein LBO (rachat avec effet de levier- Ndlr) de 3,5 milliards d'euros sur Endemol Monde, en pleine crise de subprimes et j'étais enceinte. Je l'ai annoncé au CEO Monde. La réponse ? "Good luck". Cela résume parfaitement la différence de mentalité entre Anglo-Saxons et Français : ils me faisaient confiance, même si j'étais enceinte. C'était un non-sujet. Mais je savais aussi que les résultats devraient être là. Quand vous êtes patron, vous êtes dégageable assez facilement. Au final, ma grossesse et la naissance de mon fils n'ont eu aucun impact sur ma performance.
V.C. : Je pense qu'à cause de ses mille vies, une femme va être ultra-organisée et prioriser en permanence l'efficacité de son temps. Elle gère plein de choses simultanément. Comme le fameux appel de l'école : "Votre fils vient de vomir, il faut venir le récupérer". Notre planning est télescopé en permanence par tout un tas de petites choses.
Je n'aime pas les caricatures des "qualités féminines" ou des "qualités masculines". Mais je reste convaincue que le fait que les femmes soient capables de gérer plusieurs choses en même temps, qu'elles soient multitâches fait qu'elles sont plus pragmatiques. Elles ont toujours à coeur de mener leur mission à bien et de le faire de la façon la plus efficace possible. Elles n'ont pas le luxe de perdre du temps ou de l'efficacité.
V.C. : Je suis sur-organisée et cela m'a beaucoup aidée. J'ai des post-it partout, des to-do lists que je raye régulièrement. C'est la base de mon organisation depuis 30 ans. Je fais très peu de pauses, ce qui est sûrement un tort. Et je suis ultra-ordonnée, même si mon bureau peut apparaître en bazar. Je n'aime pas perdre du temps à chercher les choses.
Je ne suis pas une grande adepte du sport. Mais je passe du temps avec mes enfants, mes amis, ma famille. Et plus je vieillis, plus j'y consacre du temps. Ca me semble essentiel à l'équilibre. J'ai beaucoup travaillé lorsque j'étais plus jeune, j'arrive à la cinquantaine à avoir du recul et à dégager du temps pour mes enfants ados, qui ont aujourd'hui 13 et 15 ans.
V.C. : Futurae est l'école des métiers de demain dans le domaine des industries créatives : c'est un projet entrepreneurial qui me tient vraiment à coeur. Le fil rouge de mon engagement, que ce soit dans l'entreprise, associatif ou en politique, c'est l'emploi. Ce projet a été conçu pour répondre à la problématique du chômage des jeunes et offrir aux jeunes des formations qui débouchent sur l'emploi dans un domaine porteur, car je pense que les industries créatives seront essentielles.
V.C. : J'ai démissionné de tous mes mandats, mais je reste une femme passionnée par la politique. J'ai pris du recul pour le moment, mais je ne dis jamais "jamais", même si je doute de revenir à de la politique politicienne pure. Contrairement à d'autres femmes et hommes politiques, cela n'a pas été mon métier. Et je ne ressens pas de manque, ni de frustration. Pour moi, Futurae est une forme d'engagement politique dans le sens vie de la cité. C'est une autre façon de m'impliquer et d'apporter ma pierre à l'édifice.