Pendant un an, du 25 mars 2019 au 25 mars 2020, l'association Résistance à l'agression publicitaire (RAP) permettait à chaque citoyen·ne d'accéder à son formulaire de l'Observatoire de la publicité sexiste, et d'y inscrire quel affichage extérieur, spot télévisuel, page de magazine, annonce radio... il·elle jugeait exposer des stéréotypes de genre nocifs, ou véhiculer des injonctions tout aussi dangereuses.
L'objectif : "inclure la société civile dans le débat sur la régulation de la publicité, pour contrebalancer et compléter l'action de l'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité" (ARPP), qui ne serait pas à la hauteur, explique l'organisme. Le 21 janvier, les résultats ont été dévoilés dans un rapport édifiant.
Au total, la plateforme collaborative a reçu 165 contributions venant de 20 villes différentes, 48 % issues d'internautes parisien·ne·s. Sur les 110 marques épinglées problématiques, Dior, Le Temps des Cerises, Nasty Gal, Treatwell et WeCasa en représentent à elles seules 15 %, et 86 % des supports mis en cause proviennent d'affichages extérieurs (panneaux publicitaires, mobiliers urbains, vitrines...). Surtout, 81 % des contributions ciblent le genre féminin, les secteurs de l'esthétique et de l'apparence incarnent la moitié de ces publicités, révèle la RAP. Et les conséquences de ce "publisexisme" sont nombreuses.
"Les injonctions observées sont multiples : beauté, jeunesse, minceur, consécration au soin et à la domesticité, soumission à l'expertise et au regard masculin, etc", analyse plus en profondeur l'association dans les colonnes de Mediapart. "Les principaux ressorts sont la sexualisation à outrance du corps féminin et l'objectivation des femmes. Avec des effets normatifs et sanitaires dramatiques : discriminations, troubles de l'alimentation et de la consommation, banalisation de la culture du viol, mésestime de soi, etc."
"Le publisexisme est d'autant plus frappant quand on compare des publicités ciblant les femmes à leur équivalent adressé aux hommes, pour une même marque et un même produit ou service", poursuivent dans le rapport ses auteur·rice·s, qui confronte deux affiches pour un même club sportif. L'une, destinée aux femmes, est rose, l'autre, pour les hommes, est bleu. La première lance "summerbody toute l'année ?", se concentrant sur l'apparence des adhérentes, la deuxième encourage ses adhérents à "oser le 42 km", ciblant plutôt la performance.
Tout aussi problématique : la façon dont ces pubs nous sont imposées dans la rue, inscrivant dans nos esprits des clichés ravageurs et perpétuant des rôles dépassés. Un affichage "perçu de manière particulièrement agressive par les passant·e·s", explique la RAP, tant il nous empêche de "faire le choix de l'éviter, et ne nous permet donc pas d'exercer notre 'liberté de réception'".
"Les publicités sexistes ont peu évolué, voire se sont renforcées", déplore encore l'association. "La déformation et la sexualisation du corps féminin, la récupération du féminisme, la mise en scène des femmes comme des êtres faibles et ignorants persistent". Son analyse juridique démontre enfin que la législation en vigueur serait insuffisante. La pub est en effet régulée par le secteur lui-même (la fameuse ARPP), "à la fois juge et parti".
Afin de faire bouger ces lignes, l'Observatoire de la publicité sexiste évoque trois propositions concrètes. D'abord, celle de mettre fin à l'"autorégulation" publicitaire en créant une instance de régulation indépendante et dotée de pouvoirs de sanction. Car selon la RAP, "au mieux, [l'ARPP] condamne une campagne publicitaire par un 'avis défavorable' publié sur son site bien après la fin de cette dernière ; au pire, elle ne fait rien du tout".
Ce fut notamment le cas pour la campagne "liberté, égalité, beau fessier" signée Le Temps des Cerises, largement mentionnée par les contributions. Cible d'une plainte auprès du jury de déontologie publicitaire (l'une des instances de l'ARPP), celui-ci finira par la juger non fondée.
Ensuite, agir d'un point de vue législatif, en inscrivant clairement dans la loi l'interdiction du sexisme dans la publicité. Et enfin, en n'utilisant plus de corps (entiers ou morcelés, humains ou humanoïdes) dans la publicité. Des pistes dont certains voisins européens se sont déjà emparés. En 2019, le Royaume-Uni interdisait par exemple toute publicité sexiste. De ce côté de la Manche, si la ville de Paris a déjà lancé plusieurs actions en ce sens ces dernières années, les esprits rétrogrades des concepteurs semblent lui résister. Espérons que ce rapport change la donne.