Sexiste, macho, beauf, intrinsèquement violent, inculte... Le monde du jeu vidéo continue d'avoir mauvaise presse. Derniers exemples en date, le présentateur du Grand Journal de Canal +, Antoine de Caunes, raillant les joueurs utilisant le service de streaming Twitch, vendredi 29 août ; ou, plus récemment, les moqueries du présentateur Nagui et de la nageuse française Laure Manaudou sur France Inter le 9 octobre à l'adresse des gamers professionnels. Ces propos viennent mettre de l’huile sur le feu dans un contexte déjà particulièrement tendu. Depuis cet été, le débat sur la place de la gent féminine au sein de cet univers, que l’on dit très masculin, a ressurgi de manière spectaculairement violente sur la toile. Des événements qui ne manquent pas d’interroger sur l'évolution des mentalités au sein de la communauté de joueurs et d'une industrie aux budgets se rapprochant toujours plus de ceux des blockbusters hollywoodiens.
Dès le 12 juin, une première polémique éclate en plein cœur du salon de l'E3, à propos du prochain opus de la franchise Assassin's Creed, édité par Ubisoft Montréal. Alors interpellé par le site spécialisé Polygon sur l'absence de personnages féminins dans « Unity », les concepteurs avaient alors justifié ce choix de manière déconcertante, arguant d’un manque de temps et, surtout, de moyens, ce type de personnages exigeant « trop de travail supplémentaire ». Des arguments qui n'ont pas manqué de susciter un vif et légitime débat sur Internet.
Le 16 août, Zoe Quinn, une game-designeuse américaine de 27 ans, auteure du jeu indépendant Depression Quest, se retrouve au cœur d'une tempête médiatique, certains joueurs dénonçant, sans preuves réelles, une collusion entre l'éditrice et Le monde de la presse spécialisée. Elle reçoit alors quotidiennement des centaines de messages sexistes et particulièrement violents sur des sites tels que 4chan, Reddit ou encore Twitter. Ceci n’est que le début d’une tourmente qualifiée par la presse du monde entier de « GamerGate », du nom d’un mouvement promouvant, à l'origine, l’éthique des journaliste spécialisés mais très vite récupéré par des anti-féministes virulents.
Réactions d'internautes sur Twitter
Une semaine plus tard, alors que Le monde du jeu vidéo est encore sous le choc, c'est au tour d'Anita Sarkeesian, une universitaire américaine spécialiste de la représentation des femmes dans les jeux vidéo de subir harcèlement et menaces de mort. Sa famille n'est pas non plus épargnée et l'ignoble campagne la pousse à déménager. Sa « faute » ? Être l'auteure d'une série de vidéos militantes sur YouTube, « Tropes Vs Women in Video Games » démontant les clichés contre les femmes dans les jeux vidéo. Des pressions qui ne semblent pas prêtes de s’arrêter. Ainsi, alors qu’elle devait donner une conférence dans une université de l’Utah le 15 octobre dernier, la spécialiste a reçu, quelques jours auparavant, un e-mail annonçant un massacre en cas de maintien de l'événement. Devant l'impossibilité d'empêcher d'éventuels porteurs d'armes au sein de l'établissement et ce, en vertu de la loi en vigueur dans l'Utah, Anita Sarkeesian a renoncé finalement à s'exprimer.
Les cas de ces deux femmes sont loin d’être isolés : la développeuse américaine Brianna Wu, qui a osé critiquer le « GamerGate » sur son compte Twitter, a, elle aussi, eu droit à son flot de menaces de mort et/ou de viol ce même mois d'octobre. Et l’on peut certainement escompter d’autres cas, des gameuses trop effrayées pour oser dénoncer les harcèlements dont elles font l’objet.
Pourtant, si ces différents cas démontrent, une nouvelle fois, la présence d'un sexisme violent et un conservatisme rétrograde au sein de l'univers du jeu vidéo, le secteur n'en est pas moins bien plus ouvert qu'il n'y paraît. S’il y a toujours eu des femmes pour s’intéresser aux jeux vidéo, plusieurs études récentes ont montré que la proportion de joueuses serait désormais égale, voire légèrement supérieure à celle des joueurs. Un rapport en date du 17 septembre 2014 publié par l'Interactive Advertising Bureau (IAB), une organisation regroupant les acteurs de la publicité sur internet, a ainsi révélé que 52% des joueurs britanniques sont désormais... des joueuses. Quant à l'étude annuelle de l'Entertainment Software Association, publiée au mois d'août dernier, elle précise que 48% des adeptes des jeux vidéo sont aujourd'hui des femmes. On peut supposer que ke développement des jeux sur smartphone n'est pas étranger à ce processus de féminisation du public (puisqu'en 2010, le sexe féminin ne représentait que 40% des joueurs).
Des chiffres qui sont, malgré tout, à modérer comme le rappelle nos confrères du journal Le monde, dans son édition du 17 octobre. Le quotidien du soir rappelle ainsi que « les biais pour ‘féminiser’ le public sont nombreux et connus : ne pas prendre en compte les moins de dix ans, considérer l'acheteur plutôt que le consommateur (et la maman qui paie plutôt que l'enfant qui joue) ou inclure des produits à la lisière du jeu vidéo, comme les jeux de cartes sur smartphone ». Interrogé, par Le monde, Guillaume de Fondaumière, le nouveau président du SNJV (Syndicat National du Jeu Vidéo, Ndr), concède ainsi que « sur les jeux traditionnels, on est plus proche de 80 % d'hommes pour 20 % de femmes ». Un plafond de verre semble donc bien exister pour la transition allant du jeu casual au jeu hardcore .
Ce constat fort, ainsi que les tristes événements récents, ne peuvent laisser indifférente une industrie vidéoludique qui continue de croître et se place, désormais, en troisième position en termes de vente de produits culturels – derrière les livres et le cinéma, avec plus de 1,7 milliard de chiffre d’affaires en France en 2012 (source, Chiffres clés statistiques de la culture 2014, SELL).
Mais, au-delà de l’image, qu’en pensent les premières concernées ? Le sexisme est-il majoritaire aujourd’hui dans Le monde du jeu vidéo ? Les femmes sont-elles réellement persona non grata chez les gamers ? Quelle sera leur place, à l'avenir, dans cette industrie florissante ? La réponse des gameuses et professionnelles du secteur à découvrir demain…
Lire le deuxième volet : Jeux vidéo : les femmes, des joueurs comme les autres ?