En 2004 et 2005, 14 personnes ont été injustement accusées d'actes de pédophilie et incarcérées pendant près de trois ans. Sur les dix-sept accusés jugés en première instance en 2004 pour des agressions sexuelles à l'encontre de douze enfants, pour des faits qui se sont déroulés entre 1997 et 2000, accusés originaires d'Outreau, quatre seulement furent finalement reconnus coupables à l'issue du procès en appel qui se déroula auprès de la cour d'appel de Paris en novembre 2005. Une affaire historique, appelée communément "affaire d'Outreau".
Et c'est justement sur ce sujet que revient aujourd'hui une série de docu-fiction en quatre épisodes diffusée ces 17 et 24 janvier à 21h10 sur France 2, mettant en scène des acteurs, tout en respectant au mot près les procès-verbaux. A chaque chapitre, le documentaire revient pendant une cinquantaine de minutes sur ce qui est considéré comme l'un des plus grands fiascos judiciaires du pays.
Un programme ambitieux déjà salué par la critique. Et dont la diffusion nous confronte à bien des interrogations et des enjeux actuels. Pour cause, elle nous rappelle notamment les conséquences de cette affaire sur le traitement des enfants victimes, à l'heure de mobilisations comme #MeTooInceste, contribuant à libérer massivement la parole desdites victimes.
Des conséquences dramatiques à en lire Edouard Durand, le coprésident de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles dans l'enfance, laCiivise. Auprès de Libération, ce dernier déplore : "Cette affaire est venue renforcer une tendance à la suspicion face à la parole des enfants qui révèlent des violences et qui demandent qu'on les protège. Alors qu'on connaît les mécanismes de la stratégie des agresseurs, qu'on sait que la parole des victimes est étouffée, qu'il y a une injonction au silence".
"L'effet de l'affaire d'Outreau a contribué à étouffer la parole des enfants. Dans l'une des étapes judiciaires de l'affaire, les enfants victimes étaient d'ailleurs mis dans le box des accusés. Et ce alors que les fausses allégations de violences sexuelles sont extrêmement marginales. Aujourd'hui encore il reste des traces très nettes et extrêmement néfastes de cette affaire dans la capacité à repérer les enfants victimes et les protéger. Ça a aussi laissé des traces dans le crédit accordé à la parole de celles et ceux qui révèlent des violences et demandent de l'aide. Ce traumatisme a un effet de silenciation", développe le juge pour enfants.
Près de 160 000 mineurs subiraient des violences sexuelles chaque année, selon les chiffres de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, qui invitait notamment dans un important rapport paru l'an dernier à repérer les violences dès le plus jeune âge et à prendre davantage en compte la parole des victimes, mais également à mieux former les forces de l'ordre à ces enjeux.
En parallèle de cette parole qui doit être prise en compte, Luc Martin-Gousset, le producteur de la série docu-fiction, insiste de son côté sur l'importance de revenir sur cette affaire emblématique : "Cette série, nous l'avons faite pour prendre du recul afin de rééclairer cette affaire à la lumière d'aujourd'hui".