Pour un temps sois peu est une pièce de théâtre narrant le récit autobiographique de l'autrice trans Laurène Marx. Une pièce intrigante mise en scène par Lena Paugam et déjà jouée près de 20 fois en France depuis 2021. Mais ses représentations prévues du 4 au 19 janvier 2023 au sein du Théâtre 13 n'auront finalement pas lieu. Elles ont été déprogrammées pour des raisons aussi bien intimes que politiques.
La raison en est simple : des militant·e·s protestent car l'actrice principale, Hélène Rencurel, n'est pas une personne transgenre. La pièce est ainsi accusée d'invisibiliser ce qu'elle met pourtant en scène. En outre, la venue d'Hélène Rencurel à Toulouse en novembre 2022 aurait suscité l'indignation d'associations LGBTQ. L'autrice Laurène Marx a finalement tenu à incarner ce rôle, le sien, à la place de la comédienne cisgenre lors d'une représentation en novembre 2022 mise en scène par Fanny Sintès, au Théâtre de Belleville à Paris.
Les raisons de ce revirement personnel semblent énoncées sur le site du théâtre : la pièce y est décrite comme une histoire de femme trans "racontée par une personne qui l'a vécue, vraiment vécue. Dans sa chair et dans son amitié. Et pas une énième histoire fantasmée, écrite ou jouée par un ou une non trans".
"Maintenir le spectacle de Lena Paugam, ce serait m'inscrire aux antipodes de ce que je pense intimement. Je n'ai pas agi sous la contrainte de pressions. Je suis en accord avec les demandes légitimes des personnes trans concernées", explique de son côté à Télérama Lucas Bonnifait, le directeur du Théâtre 13.
"Au vu du sujet de ce texte, et des problématiques de représentations et de visibilisation des personnes trans que cette distribution soulève aujourd'hui dans un contexte de fortes revendications, l'équipe du Théâtre 13 - en accord avec Lena Paugam, Hélène Rencurel (interprète) et la compagnie Alexandre - a choisi d'annuler la série de représentations prévues du 4 au 19 janvier 2023 au Théâtre", déclare ainsi le communiqué officiel.
L'autrice Laurène Marx, qui aurait évoqué l'idée d'incarner son propre rôle dès l'hiver 2020, explique de son côté : "La première fois que j'ai vu le travail d'Hélène, j'ai été émue. Mais ça n'a pas duré. Je ne veux pas qu'on fantasme mon vécu. Je n'en peux plus d'entendre les gens de théâtre dire qu'on peut tout performer." Des mots qui font écho au descriptif de la pièce : "Pour un temps sois peu est un manifeste, une reprise de pouvoir sur la parole intime des trans. Une tentative de créer plus de culture. Plus de culture, pas plus de fantasme".
Face à ces protestations, la comédienne Hélène Rencurel a finalement décidé de ne plus interpréter ce rôle, déclarant à Télérama : "Je comprends et j'accompagne le combat des personnes trans. L'invisibilisation de leurs corps est un problème de société. Si jouer signifie les invisibiliser encore plus, alors cela ne m'est plus possible".
Cependant, ces déclarations en forme de manifeste interrogent au sein de la scène culturelle. "Pourquoi ces deux spectacles, qui ne se faisaient pourtant pas d'ombre, ne pouvaient-ils coexister ? Peut-on incarner une personne trans lorsqu'on n'est pas trans soi-même ? La réponse vient de tomber : c'est non. Triste affaire dont personne ne sort gagnant : ni le lieu, contraint de renoncer à un projet de qualité, ni les personnes trans, dont la mobilisation s'achève par une censure", déplore en ce sens Télérama.
Un débat houleux donc.