Depuis le premier confinement, des milliers d'anonymes se plaisent à rêver de potagers, de voyages et d'exils. En attendant la grande évasion, c'est par la pratique créative et ludique que bien des mains se sont exercer à tuer l'ennui. Expérimenter le pain maison, aligner les puzzles, étaler les jeux de société sur la table, oui... Mais aussi ressortir le tricot du placard. Et tout cela ne nous étonne guère.
Sur les réseaux sociaux, les aficionados de la chose lèvent fièrement leurs aiguilles en l'air. Du côté de Twitter notamment, la communauté tricot, anglicisée en #teamtricot, est aussi riche qu'ingénieuse et bienveillante. Il faut dire que ce n'est pas la moindre des vertus de l'activité manuelle, que celle d'associer introspection, créativité, technique, dextérité et tranquillité en un tout qui pourrait séduire les plus réfractaires.
Pour preuve, il suffit d'écouter les principales concernées. Elles nous disent tout entre deux pelotes.
Pour se convaincre de la tendance nette et vigoureuse du tricot, il suffit de décocher du #tricotaddict, du #tricot et autres #teamtricot sur Instagram et Twitter. Les résultats répondent par dizaines de milliers et sont sans mystères : le tricot a la cote, inspire, suscite retours enjoués, carnets de bord, selfies et recos diverses.
C'est d'ailleurs sur Insta, mais aussi sur Facebook, qu'Anne-Lise rend compte de ses tricotages, particulièrement depuis le reconfinement de mars dernier. Cette journaliste de 40 ans tricote depuis environ dix ans, "en dilettante" nous dit-elle, comme si elle poursuivait une tâche toujours "in progress" depuis toutes ces années.
C'est aussi cela le luxe du tricot : le temps qu'il exige, et qu'il offre.
"Je n'ai toujours pas terminé un pull et toujours pas appris correctement à faire les chaussettes. Mais cette année quand l'envie m'a repris, j'ai enfin terminé une écharpe qui était dans mes caisses de déménagement depuis deux ans", s'amuse en ce sens la stakhanoviste de l'aiguille. Malgré ce temps très étendu, le tricot sied tout à fait à l'immédiateté des réseaux sociaux. Les deux se complètent d'ailleurs très bien. Partager ses ouvrages et en découvrir de nouveaux permet de se soutenir, d'apprendre, de transmettre ses connaissances.
Et quand le smartphone est en veille, le tricot fait office de pause nécessaire dans un monde qui, même confiné, n'en perd pas moins sa frénésie dévorante. Il faut dire que comme un pain au levain en pleine maturation, un bon tricot porte en lui quelque chose d'atemporel, un parfum hors du temps qui réconforte et apaise.
"Tricoter, c'est allier la répétition des mouvements à la mémoire de gestes, c'est très méditatif au final", détaille notre interlocutrice. "Cela permet d'être 'ancrée'. Bobiner les écheveaux à la main par exemple [un écheveau est un assemblage de fils repliés sur eux-mêmes, ndlr] fait pour moi partie de ce processus méditatif et de "care"".
Le care, cette éthique du soin porté sur soi et sur l'autre, son corps et sa santé, revient souvent dans les conversations des tricoteuses en cheffe. "Je suis suivie par une psychologue qui m'a confirmé l'effet apaisant des travaux manuels comme le tricot. Se concentrer sur une tâche évite de faire des fixations sur les angoisses du quotidien", développe la dénommée Dulcamarra, 35 ans, créatrice manuelle très active sur Twitter.
Préoccupée par les angoisses chroniques, la dépression, l'anxiété et la santé mentale en général, Dulcamarra aime à propager les bonnes ondes des coups d'aiguilles. "J'ai pu voir certaines de mes amies devenir des boulimiques du tricot/crochet pour tenter d'endiguer l'angoisse de l'incertitude du quotidien", poursuit-elle.
Le tricot, remède à l'anxiété et à la mélancolie, troubles pour le moins exacerbés en un an de confinements ?Pourquoi pas.
Bien des petites mains en tout cas célèbrent désormais ses qualités et son accessibilité. Dans l'entourage de Dulcamarra, c'est encore sur un autre réseau, le très tendance logiciel de messagerie instantanée Discord, que de nouvelles venues se sont initiées à distance à la chose grâce au partage de photos et vidéos sur le serveur, relais idéal pour savoir "comment rectifier leurs erreurs au mieux", nous apprend celle qui ne fut pas mécontente de son écharpe snood, du bonnet et des mitaines bicolores en alpaga qu'elle a achevé l'hiver dernier.
La sororité du tricot, une commu qui grandit, grandit.
D'autant plus en pleine pandémie. Ainsi Suzanne, 38 ans, qui a toujours considéré le tricot comme un remède à ses "cogitations" (ce sont ses mots) a observé "une certaine explosion" de ses propres activités textiles depuis le tout premier confinement. Notable pour cette passionnée qui tricote depuis l'âge de 6 ans, sous l'impulsion de sa grand-mère maternelle, et pratique la chose régulièrement depuis près de 20 ans. Vêtements pour soi, sa fille, cadeaux de naissance : tout y passe, et d'autant plus ces derniers mois. Comment l'expliquer ?
"C'est un passe-temps agréable, pratique et qui peut se faire avec peu de temps devant soi, contrairement à la couture qui demande toute une organisation matérielle. Le tricot, c'est la liberté. J'ai l'impression de ne pas perdre mon temps, de faire quelque chose de constructif, concrétiser le temps qui passe sans sensation de gâchis", décrypte Suzanne, qui voit là - elle aussi - "un excellent moyen de se détendre et de se canaliser".
"Il y a quelque chose d'apaisant dans le cliquetis des aiguilles, on tricote en laissant son esprit vagabonder", poétise-t-elle, tressant les lauriers d'une activité "sans restrictions". Précieux par les temps qui courent. Elle aussi attaché à sa #teamtricot, Martine, 74 ans, ne se lasse pas de vanter les vertus "anti-stress" de cette activité qui, comme la broderie, l'a longtemps côtoyée au fil des années. "Je tricote partout, en voyage, dans les salles d'attente, parce que c'est léger à transporter... et que j'ai les tutos sur ma tablette", relate-t-elle.
Loin d'être confiné, le tricot se déploie sur toutes les surfaces, et entre toutes les mains.