Qui a dit que la broderie était ringarde ? Les féministes sont de plus en plus nombreuses à se réapproprier ce loisir un peu vieillot pour faire valoir leurs opinions politiques et sociales. Le craftivism (en anglais "craft" : "fait-main" et "activisme") est devenu un courant artistique et pacifique tendance. Avec leurs points de croix, des militants s'élèvent contre le patriarcat, le sexisme et le racisme à travers des messages poignants, brodés à plat ou en relief.
Depuis 2016, Shannon Downey est l'une d'entre elles. Abasourdie par la nomination de Donald Trump à la Maison Blanche, alors qu'Hillary Clinton (une femme enfin !) était favorite, l'Américaine de 39 ans originaire de Chicago, a participé à la "Marche des femmes" du 21 janvier dernier, arborant une broderie géante sur laquelle était inscrit : "Je suis tellement en colère que j'ai brodé ceci juste pour pouvoir poignarder quelque chose 3 000 fois", confie-t-elle à Bustle. Un objet atypique qui n'est pas passé inaperçu lors de ce rassemblement de plusieurs centaines de milliers de femmes convergeant d'un même pas vers le centre de Washington pour protester contre l'investiture du nouveau président.
"J'utilise la broderie pour m'exprimer, il y a tellement de choses à faire en politique", souligne-t-elle. Le succès de cette photo fut tel que la jeune femme a depuis lancé le site Badass Cross-Stitch, sur lequel elle fait découvrir le craftivism et permet à qui veut de télécharger et d'imprimer ses modèles. Le moyen selon elle, d'encourager les gens à décrocher des écrans et à se consacrer à une activité manuelle.
Au début, ses dessins s'articulaient autour des univers de la culture pop, des messages féministes et parfois des déclarations axées sur la justice sociale. "Désormais, mon site a pris un virage politique et c'est maintenant, en quelque sorte, exclusivement de la politique, du féminisme et de la justice sociale parce que c'est tout ce qui me préoccupe", explique-t-elle. Shannon Downey capte ce qui se passe en politique et le fige au point de croix. A l'instar de l'une de ses oeuvres les plus connues : "Les garçons seront tenus responsables de leurs putains d'actions".
D'autres artistes ont donné un nouveau souffle à la broderie. La Britannique Zoe Buckman invitait l'année dernière à nous interroger sur les rapports contradictoires entre le féminisme et le hip hop, en brodant les textes de rappeurs comme Tupac ou Notorious B.I.G sur des sous-vêtements vintages, qu'elle exposait en mai 2016 à Los Angeles.
Lauren Singleton, "brodeuse à Brooklyn et désespoir de sa mère depuis 2012" comme elle se définit elle-même sur Instagram, est également très connue pour son travail de craftivism qu'elle réalise sur plusieurs supports et vend sous la marque Yes Stitch Yes. Ses messages "Pas aujourd'hui Satan", "Merci d'être responsable de l'énergie que vous apportez dans l'espace" ou "Faire en sorte que les racistes soient effrayés" témoignent de son intérêt pour cette nouvelle tendance qui mêle travaux manuels et engagement politico-social.
Engagée contre les violences armées de Chicago, Shannon Downey (qui avait exposé une collection anti-armes lors des élections) a mis en place un atelier de craftivism à destination de personnes ayant été blessées par balle ou témoin de l'homicide d'un proche.
Cette méthode, connue sous le #endgunviolence, combinait l'enseignement de la broderie et la psycho-éducation traumatique afin de contribuer au rétablissement après un traumatisme. "J'ai amené un thérapeute pour faciliter la discussion, les gens avaient besoin de plus qu'une aiguille et du fil, ou même de moi, pour traiter leur problème. Je ne peux pas imaginer qu'une expérience puisse être plus réconfortante que ce qui s'est passé ce jour-là."
N'en déplaise aux sceptiques, la broderie est et bien en train de devenir un loisir tendance et un moyen d'expression. Et vous, qu'avez-vous à dire ?