Facebook, qui conserve son trône au classement des réseaux sociaux avec ses 1,65 millions de membres, est désormais la plateforme de communication la plus suivie au monde : et comme souvent, sa principale force constitue aussi sa plus grande faiblesse. Le réseau social a dû mettre en place des politiques de modération strictes pour se maintenir à flots ; mais malgré cela, Facebook va de bad buzz en bad buzz, et leur dernière bourde en date n'est pas des moindres. Après la censure d'articles jugés trop conservateurs de la droite américaine et une modération trop lacunaire des commentaires homophobes et racistes au goût d'associations française, Facebook s'est lancé avec brio dans le fat-shaming (l'humiliation systématique des personnes en surpoids).
En effet, début mai, le groupe féministe australien Cherchez la femme a créé un événement baptisé "Feminism and fat" soit "Le féminisme et la graisse'', une conférence censée aider les personnes à forte corpulence à accepter leurs corps. Pour booster l'événement, Jessamy Gleeson, l'une des fondatrices de Cherchez la Femme, a voulu publier un message promotionnel illustré par une photo de Tess Holliday en bikini. Mais visiblement, le mannequin plus size, connue pour sa taille 50 et son implacable volonté de briser les diktats de la mode, n'a pas sa place sur Facebook qui regorge pourtant de photos de femmes en maillot de bain. Mais si une femme en 36 à moitié nue ne semble pas problème, qu'une femme de forte corpulence comme Tess Holliday, -qui pèse 120kg pour 1m65-, puisse s'exposer sans complexe semble inconcevable pour la plateforme, qui a refusé la publicité.
Le motif ? "Les publicités de ce genre ne sont pas autorisées car elles conduisent les utilisateurs à se sentir mal à propos d'eux-mêmes", explique l'équipe de modération dans son message de refus dont le screenshot a été posté publiquement sur Facebook par une Jessamy Gleeson outrée. Les modérateurs ajoutent avec délicatesse un conseil avisé : "Nous vous recommandons d'utiliser à la place une photo exposant une activité pertinente, telle que la course à pieds ou le vélo". Autrement dit : on tolère les photos de "gros", mais seulement s'ils sont en train de faire de l'exercice pour montrer qu'ils veulent absolument se débarrasser de ce corps infamant. En voilà, du contenu positif !
Il n'en a pas fallu plus pour mettre le feu aux poudres. Les féministes, ivres de rage, ont répondu par un post incendiaire rédigée par Jessamy Gleeson : "Facebook a ignoré le fait que notre événement consiste à discuter du corps (et dans le cas de cet événement, des corps à forte corpulence) et a à la place conclu que nous mettons les femmes mal à l'aise en postant la photo d'un mannequin grande taille. Nous sommes vraiment en colère." Face à l'agitation des médias, Facebook s'est empressé de poster des excuses publiques le 23 mai en jouant la carte de l'erreur : "Notre équipe traite des millions d'images publicitaires chaque semaine, et dans certains cas, nous interdisons des publicités à tort. Cette image ne viole pas notre politique publicitaire. Nous nous excusons pour l'erreur et avons fait savoir à l'annonceur que nous approuvons cette publicité."
Mais c'est loin d'être suffisant pour Jessamy Gleeson, qui s'est confiée à The Guardian sur ce sujet : "Ils ont besoin de comprendre, de manière assez simple, que nous pouvons utiliser des images de femmes fortes pour parler de femmes qui sont heureuses". Pour elle, cette publicité censurée parce qu'elle exposait soit-disant le corps "de manière indésirable" en dit long sur la grossophobie larvée qui plombe notre société.
La première réaction de Facebook était en effet de refuser la diffusion de la photo car elle ne correspondait pas à ses standards "fitness et santé". Mais cela sous-entend qu'une personne en surpoids est forcément en mauvaise santé, ou ne prend pas soin d'elle : c'est l'association automatique d'une idée de morbidité, de négligence, aux fortes corpulences qui se tient à l'origine du fat-shaming. On ne fait pas la promotion de femmes fortes dans les médias, bien au contraire ; on les écarte, on les cache comme on tenterait de dissimuler une maladie honteuse. Cette stigmatisation joue le jeu des diktats de la mode et de l'ultra-minceur ; et la réaction de Facebook face à la photo de Tess Holliday montre à quel point ces codes sont enracinés dans nos mentalités.
Il est facile de répéter à tout-va que les femmes devraient aimer leurs corps comme ils sont : mais cette acceptation passe avant tout par la représentation de tout type de corps, et donc par un bouleversement des normes sociales. Et pour initier ce changement et pouvoir un jour sortir de ce système à deux poids, deux mesures, les réseaux sociaux sont des vecteurs d'images à surveiller de très près.