"Si votre passeport est au genre masculin, ils ne vous laisseront pas aller à l'étranger, ils ne vous laisseront pas passer." Zi Faámelu est une femme trans de 31 ans, originaire de Kiev. Si elle a finalement réussi à fuir son pays, elle a d'abord été confrontée à ce qu'elle nomme "une guerre dans la guerre": la transphobie en plein conflit armé.
En avril, on estimait que 5 millions d'Ukrainiens avaient fui leur pays. Et pour les personnes trans, cette décision de quitter leur foyer présente une difficulté supplémentaire. "Au cours de ma récente visite en Ukraine, j'ai également été informée du fait que certaines personnes transgenres rencontrent des difficultés pour quitter le pays", expliquait le 17 mai Dunja Mijatović, Commissaire aux droits de l'homme au Conseil de l'Europe.
On fait le point sur les femmes trans, dont les difficultés sont très documentées.
Si l'Ukraine a fait ces dernières années des progrès en termes de droits LGBT+, le pays est loin d'être un leader sur le sujet. Selon l'Association internationale lesbienne et gay, ou International Lesbian and Gay Association (ILGA), l'Ukraine se situe à la 39ème position parmi 49 pays européens quant à son traitement des personnes LGBT+. Comme le rappelle le Guardian, le mariage entre personnes de même genre n'est pas autorisé, il n'existe aucune loi les protégeant des discriminations, et l'Église orthodoxe considère l'homosexualité comme un péché.
De fait, les femmes trans qui se sont confiées à la presse depuis le début du conflit témoignent de l'insécurité et de la vulnérabilité qu'elles ressentent. C'est le cas de Zi Faámelu qui, avant de réussir à quitter le pays, osait à peine sortir de chez elle. "En tant que personne transgenre, il est déjà très dangereux de vivre en Ukraine en temps normal. Alors maintenant, c'est impossible. De nombreux homosexuels sont bien intégrés dans le reste de la société ukrainienne, mais pour les personnes transgenres, c'est une autre histoire. Il y a tellement de traits physiques pour lesquels nous sommes attaqués -un grand menton, de larges épaules. On nous tabasse, on nous tue. Il faudrait qu'on s'en aille, mais on ne peut même pas quitter nos appartements", racontait-elle fin mars à Vice.
"La plupart des personnes trans à qui j'ai parlé en Ukraine ont peur de la Russie", note pour le Guardian Bernard Vaernes,de l'association Safebow, qui aide les personnes vulnérables à évacuer. "Ces actes (meurtres, enlèvements, disparitions, détentions injustes et usage de la torture) cibleraient ceux qui s'opposent aux actions russes, parmi lesquelles des populations comme des minorités religieuses, éthiques, et les personnes LGBT+", ajoute Bathsheba Nell Crocker, ambassadrice américaine auprès des Nations Unies.
La Commissaire aux droits de l'homme au Conseil de l'Europe fait elle aussi ce constat de la vulnérabilité de ces personnes et de la nécessité de les "protéger contre la discrimination les préjugés et la violence fondés sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre, qui existaient avant la guerre". Elle ajoute par ailleurs le manque d'accès aux "soins de santé spécifiques pour les personnes transgenres et intersexes dans des pays où ces médicaments sont déjà en quantité insuffisante ou dont l'accès est soumis à des exigences lourdes".
Quand les femmes trans ukrainiennes tentent de fuir le pays, la situation se corse encore un peu plus. Selon la loi martiale en cours dans le pays, les hommes âgés de 18 ans à 60 ans sont tenus de rester en Ukraine pour se battre. Or, sans papiers d'identité correctement genrés, ces femmes restent aux yeux de la loi des hommes.
"J'ai eu un problème parce qu'on m'a dit qu'un certificat de naissance n'était pas suffisant pour passer la frontière. Il fallait une pièce d'identité et je n'en ai pas. J'ai eu peur qu'on ne me laisse pas passer", craignait Joanne, auprès d'Euronews. Elle a finalement réussi à quitter le pays. Comme elle, les femmes trans qui arrivent à la frontière sans papiers d'identité ou avec une carte d'identité affichant toujours un genre masculin se voient au mieux essuyer un refus de partir, au pire peuvent être poursuivies.
Dans un article de Rolling Stone, Zi Faámelu raconte en détail son escapade. "Passe, mais sache... qu'on n'aime pas les gens comme toi", lui lance un premier garde-frontière. Plus tard, aidée d'un chauffeur, elle se retrouve dans un bureau d'exécution militaire à la frontière roumaine, où on lui annonce qu'elle devra combattre auprès des hommes. Le chauffeur qui l'accompagnait lui suggère alors dans la nuit: "Tu sais nager? C'est la seule option, tu nages pour passer la frontière de Sighetu (une ville du nord-ouest de la Roumanie, ndlr), à travers le Danube, illégalement. Ainsi, tu seras une réfugiée, mais tu auras enfreint la loi".
Acceptant cette idée, elle manque de se noyer, mais atteint son but. Elle est aujourd'hui réfugiée en Allemagne.
Certaines femmes trans sont même fouillées et examinées physiquement. "Il y avait trois officiers dans la pièce. Ils nous ont dit d'enlever nos vestes. Ils ont regardé nos mains, nos bras, observé ma nuque pour voir si j'avais une pomme d'Adam. Ils ont touché ma poitrine. Après nous avoir examinées, les gardes-frontières nous ont dit que nous étions des hommes. Nous avons essayé d'expliquer notre situation mais ils s'en fichaient", explique au Guardian Alice, 24 ans, de Brovary, à proximité de Kiev.