« À quoi ressemblerait Le monde si vous aviez le pouvoir ? », a demandé Muriel de Saint Sauveur directrice de la diversité du Groupe international Mazars à une centaine de femmes dans 33 pays différents : chinoises, indiennes, russes, américaines, africaines, européennes… Avocates, diplomates, artistes, journalistes, architectes, dirigeantes, manageurs, politiques « dotées d’une parcelle de pouvoir» dans les différents pays où Mazars a des antennes. Au fil des propos libres des interviewées se précisent, outre les difficultés qu’elles ont rencontrées pour s’imposer, leur vision, leurs ambitions, leurs priorités, leurs scénarios du futur.
Malgré quelques figures médiatiques à des postes ministériels ou à la tête des gouvernements, partout l’espace politique reste la chasse gardée des hommes. L’exemple vient cependant davantage des pays émergents, l’Afrique et l’Asie. Ainsi au Rwanda les femmes sont majoritaires au parlement. En Afrique du sud, elles ont remporté 43,5% des sièges lors de l’élection à la chambre basse alors que les Etats Unis sont au 72e rang des pays pour le nombre de femmes en politique. Situation cocasse, constate Joanna Spilker de la Fondation Clinton : « Quand le président Obama a convoqué un sommet sur la santé pour préparer sa grande réforme, il y avait 4 femmes sur les 38 hommes du congrès. » Les femmes seraient-elles incompétentes dans ce domaine ? Muriel de Saint Sauveur souligne « les femmes sont jugées inaptes à la tâche sous prétexte qu’elles ne l’ont jamais remplie ». Et de poursuivre : « Christine Lagarde a dû affronter les moqueries de l’opposition quand elle a été nommée ministre de l’économie ». Incompétente Christine Lagarde ?
Les témoignages montrent qu’en entreprise, on est certes loin de la parité aux niveaux de décision mais les femmes diplômées sont tout de même mieux accueillies qu’en politique. Chasse aux talents oblige. Celles qui parviennent à exercer des responsabilités démontrent leurs compétences et commencent à offrir des modèles et des styles de management autres que masculins. On commence même à corréler des résultats positifs à la présence significative de femmes à des niveaux de décision comme le signale l’auteure. Ces avancées ne les empêchent pas de continuer à devoir prouver plus que les hommes. « Sur les 5 continents, la plupart d’entre elles ont eu des difficultés à faire reconnaître leurs capacités. » Le plafond de verre se fissure mais il est loin d’être brisé.
La parole des responsables féminines, qui cherchent de moins en moins à gommer leurs différences, se libère. Les membres du large panel de Muriel Saint Sauveur revendiquent pratiquement toutes certaines caractéristiques féminines : « Nous sommes plus adaptables, plus résistantes que nos maris dans un monde en pleine mutation » (Dina Khayat, Egyptienne responsable financière). « Beaucoup de dirigeants ont une représentation datée du chef que les jeunes générations acceptent mal. Les femmes, dont on estime souvent même si elles sont compétentes qu’elles ne sont pas "des chefs", peuvent aider à définir le nouveau profil du dirigeant », assure Marie José Forissier, présidente de Sociovision. « Certaines spécificités dites féminines, comme la sensibilité et l’écoute, peuvent devenir une incroyable force pour gérer une équipe » (Sunita Kohli décoratrice et restauratrice d’intérieur indienne).
Muriel de Saint Sauveur remarque qu’une majorité de ses interlocutrices, cadres, membres de Comex, députées, actrices, n’imaginent pas se limiter à de seules activités rémunératrices et au profit de leur carrière, et investissent en parallèle dans l’humanitaire, dans la solidarité en faveur des plus démunis et des femmes. Au fil des entretiens on retrouve en permanence le mot « humain ». L’économie compte, certes, mais au profit de l’humain. Taniag Dubash, expert comptable, contrôleur financier d’une firme importante, résume : « L’économie ne peut s’enfermer dans sa bulle, elle doit s’associer aux problèmes de la société civile ». En termes d’investissements elles citent en premier lieu la santé. Toutes sont conscientes qu’elles doivent leur émancipation à l’éducation et en font la base et la condition du changement des sociétés : « C’est le sujet mondial », insiste Margarita Mele de Vaquer, argentine, directrice des affaires publiques d’une firme agroalimentaire. Elles mettent l’accent sur la scolarisation des filles souvent discriminées et l’éducation au genre pour les filles et les garçons : Tanya Dubash, DG de l’empire Godrej (produits de toilette, immobilier, alimentation) regrette qu’en Inde « l’école sensibilise désormais les enfants à l’environnement mais pas au respect à l’égalité du genre féminin ».
Pour construire un futur humain et solidaire, elles ont des idées et des stratégies convergentes qu’on découvre au fil des entretiens et que Muriel de Saint Sauveur reprend en conclusion. Schématiquement, elles commenceraient par organiser un G20 de femmes avec comme priorité la place des femmes et la mise en oeuvre des conditions nécessaires pour qu’elles puissent partager les décisions avec les hommes. Ce G20 devrait à terme fusionner avec l’actuel. Elles mettraient au point des directives mondiales soutenues par un programme de communication et une publication annuelle. Elles s’engageraient pour un gouvernement mondial garant des progrès en termes d’éducation, de santé, d’agriculture pour nourrir tout Le monde, d’économie responsable et d’égalité de traitement hommes/femmes.
L’auteure est consciente qu’on peut la critiquer de souligner ainsi chez les femmes des spécificités, des qualités, des valeurs différentes de celles des hommes alors que de nombreuses féministes récusent toute différence pour justifier l’égalité. Elle leur répond qu’elle ne voit pas pourquoi les différences ne permettraient pas de revendiquer l’égalité. Ensuite, elle est tout à fait consciente que ces différences ne sont pas naturelles mais construites par des environnements déterminés. Enfin, les débats intellectuels essentialistes/naturalistes ne sont pas sa tasse de thé… C’est une femme de terrain, d’entreprise, qui voit quotidiennement des hommes et des femmes au travail et qui constate que la plupart des femmes se comportent généralement différemment de leurs collègues masculins. Elles plaident en faveur d’organisations moins rigides, plus égalitaires ; elles sont plus préoccupées par le long terme que par le profit immédiat. Ce qui ne les empêche pas de manifester ambition, compétence et efficacité. Et d’engranger des résultats. « Parler avec sa tête et son cœur ne veut pas dire ignorer les chiffres », résume l’une d’entre elles. Son ouvrage, ce qui en fait l’intérêt majeur, sort du cadre habituel franco-français de ce type de livres, et ne fait que restituer la parole de femmes pragmatiques, de cultures, de pays, d’univers professionnels multiples, qui se sentent aujourd’hui « décalées » et rêvent d’un monde autre. On ne peut que souhaiter, comme elles et de plus en plus d’hommes, une parité réelle, pour pouvoir enfin tester leur influence grandeur nature.
« Un monde au féminin serait il meilleur ? » Entretiens avec Muriel de Saint Sauveur. L’Archipel. 2012
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