Delphine Ernotte : En réalité, le vrai changement a eu lieu en 2010 lorsque j’ai été nommée directrice exécutive adjointe. C’était un moment très intense car il y avait à la fois un contexte social lourd et une pression médiatique très forte, liée aux suicides des salariés. Et en plus, il fallait gérer la vie normale d’une entreprise, les impératifs business, l’univers qui est très concurrentiel. Nous avions beaucoup de challenge en même temps à réconcilier.
D.E. : On ne peut pas se préparer à un événement aussi atroce qu’un suicide. Dans une entreprise de la taille d’Orange, qui compte à peu près 80 000 personnes, on n’est jamais vraiment à l’abri d’un acte dramatique comme celui-là. C’est très dur à gérer. Sur le moment d’abord, parce que les gens sont extrêmement choqués et qu’ils ont besoin d’être soutenus. Et dans le même temps, on réalise que cet acte fragilise énormément l’entreprise et que cela pourrait presque la faire s’écrouler. Ce qui m’importait ce jour-là, était de préserver les salariés qui avaient vécu le drame, des journalistes. Je voulais discuter avec eux, les protéger de ce battage médiatique affreux.
D.E. : Evidemment, il est très difficile de séparer les deux. En même temps, lorsque vous vivez quelque chose de dur et que vous devez assumer d’autres obligations, vous avez tendance à enfouir les émotions au fond de vous-même. Sauf qu’à un moment, elles peuvent ressurgir et percuter la vie privée. De toute façon il n’y a pas de différence, on reste la même personne au travail et lorsque l’on rentre chez soi.
D.E. : Je ne pense pas que ce soit un atout dans l’absolu. Soyons honnête, c’est beaucoup plus difficile d’être une femme à des postes de direction. Les gens ne vous font aucun cadeau. Après dans certaines circonstances, en l’occurrence quand l’entreprise va mal, il est vrai que l’on soupçonne moins une femme d’être dure ou tranchante, qu’un homme. Même s’il s’agit d’un préjugé. Ce qui me dérange, c’est lorsque qu’on cantonne les femmes dans certaines attitudes ou postures émotionnelles.
D.E. : Ces études sont intéressantes car elles sont assez rationnelles. Elles démontrent que la diversité des points de vue, pas uniquement la présence des femmes mais aussi de cultures différentes, est efficace et favorable à l’entreprise. C’est une bonne manière de promouvoir les femmes dans le travail, en se basant sur leurs compétences et pas justement sur les préjugés que l’on a à propos leurs qualités.
D.E. : Je suis assez convaincue qu’il faut faire évoluer le management. Chez France Télécom, nous avons eu tendance à découper le travail en morceau, à le tayloriser beaucoup trop. Et ainsi demander aux gens d’exécuter des tâches et non un travail avec un sens, une logique. Même si je comprends bien qu’il y ait des impératifs économiques, je pense que ce raisonnement est inefficace sur le long terme. Les salariés ne s’y retrouvent pas, ils ne perçoivent plus le sens de leur travail, ils ont l’impression d’être instrumentalisés, ce qui est le cas d’ailleurs et au final cela est contre-productif. Je pense qu’il y a toute une organisation du travail à repenser avec des entités opérationnelles, des entreprises à taille beaucoup plus humaine. Le travail représente une part très importante de la vie, lorsqu’un salarié nous dit « j’ai honte de ce que je fais, j’en parle pas chez moi » (c’est arrivé à France Télécom), il devient urgent de repenser des modèles où chacun a sa place.
D.E. : J’ai revu complètement l’organisation d’Orange France pour justement essayer de décentraliser les décisions et redonner du pouvoir de décision au plus près des gens. Nous avons démarré ce travail depuis début 2011, il faut que cela se poursuive. Ce changement est assez radical. Ma deuxième priorité est de faire en sorte que dans les entités opérationnelles, les entités de management, un vrai travail collectif de co-construction soit engagé entre les managers et les salariés. Qu’est-ce qu’on change concrètement pour mieux travailler ensemble, pour être plus efficace, pour que la parole circule et produise des choses concrètes que les gens puissent s’approprier ? Le troisième enjeu est le business car nous sommes en France sur un marché très concurrentiel. Les parts de marché, le chiffre d’affaires qu’on produit, ce sont les emplois de demain.
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