En Arabie saoudite, difficile pour les femmes d'esquisser un sourire, tant la cause féminine reste le cadet des soucis du gouvernement du plus grand pays du Moyen Orient. Le 11 janvier, la journaliste Nadine al-Badeir a pourtant trouvé le moyen de se payer un véritable fou rire à l'antenne de la chaîne Rotana TV. Raison de cette soudaine hilarité : les propos tenus par Saleh al-Saadoon, historien saoudien invité de son émission « Ettijahat », consacrée aux questions sociales et culturelles dans cette région du monde.
La discussion était pourtant bien mal partie entre la journaliste et son interlocuteur. Débat du jour : l’interdiction faite aux femmes d’Arabie Saoudite de conduire. Un sujet extrêmement sensible dans cette monarchie islamique qui reste, encore aujourd'hui, le seul pays du monde où les femmes ont l'interdiction de prendre le volant. Pour Saleh al-Saadoon, cette loi a une bonne raison d'être, puisqu'elle répond à un impératif de sécurité pour les Saoudiennes : leur éviter de se faire violer sur la route en cas de panne.
Et l'historien de développer son argument en faisant preuve d'une logique imparable : « Les femmes peuvent monter un chameau, alors on peut se demander ce qui les empêche de conduire une voiture. En Arabie saoudite, nous avons des circonstances particulières. La ville d'Arar est située à 150 km d'Al-Jawf. D'Al-Jawf jusqu'à Al-Hail, il y a 400 km. Si une femme se déplace d'une ville à l'autre et que sa voiture tombe en panne, que va-t-il lui arriver ? », interroge l'homme en plateau. « Pourtant, en Europe et dans le monde arabe, les femmes conduisent », rappelle la journaliste soulevant la contradiction de son invité. « Elles se fichent d'être violées sur le bord de la route, nous non ! », rétorque immédiatement Saleh al-Saadoon.
Moment de flottement sur le plateau de l'émission, la journaliste Nadine al-Badeir peinant à cacher son étonnement face aux propos de l'intellectuel présent. Il faut dire que la jeune femme adopte, à titre personnel, une position progressiste sur le sujet et ne se cache pas d'être en faveur du droit des femmes à la polyandrie par souci d'égalité avec les hommes. Nadine al-Badeir a d'ailleurs « été révélée il y a quelques années par la chaîne arabe Al-Hurra (financée par le Congrès américain pour contrer l'influence d'Al-Jazeera) », rappelle d'ailleurs le site Auféminin.com.
« Attendez ! Qui vous dit qu'elles se fichent d'être violées sur le bas côté ? », poursuit finalement la journaliste. « Ce n'est pas un gros problème pour elles, au-delà des dommages moraux. En ce qui nous concerne, le problème est d'ordre social et religieux », persiste son interlocuteur. L'échange, de plus en plus tendu, conduit l'intervieweuse à poser une ultime question : « Vous avez peur qu'une femme se fasse violer sur le bord de la route par des patrouilleurs, mais vous n'avez pas peur qu'elle se fasse violer par son chauffeur ? ».
Dans le mille. La dernière réponse de Saleh al-Saadoon va achever de tourner en ridicule l'argumentaire déjà bien fragile du conservateur. « Évidemment que si, répond l'historien. Il y a une solution, mais les représentants religieux et politiques refusent de l'entendre : c'est de faire venir des conductrices étrangères pour conduire nos femmes ».
La réplique fait mouche. Bien malgré lui, l'invité provoque l'éclat de rire de Nadine al-Badeir. Abasourdie par le ridicule de la proposition, la journaliste tente de se rattraper : « Des femmes chauffeurs étrangères ? Sérieusement ? ». Mais trop tard. La réaction de la journaliste a déjà réduit à néant les efforts de son invité. Après tout, dans un État où les contrevenantes à une telle loi risquent des coups de fouet, le rire est peut-être encore la réaction la plus appropriée...