Pour le magazine belge Femmes Plurielles, la dessinatrice Marine Spaak (Dans mon tiroir) illustre une étude sur le viol conjugal menée par la chercheuse Amandine Michez en décembre 2017. Elle explique en dessin et de manière très pédagogique comment une expression anodine telle que "passer à la casserole" témoigne de la pression du supposé "devoir conjugal" dans certain couple. Car oui, un rapport forcé même lorsqu'il réalisé par son partenaire est un viol.
Marine Spaak : Depuis longtemps, je me souviens avoir vraiment bloqué sur cette expression, "passer à la casserole". Elle me dérangeait et me mettait mal à l'aise sans que j'arrive à comprendre ce qu'elle voulait dire. Quand j'ai compris que c'était de viol conjugal qu'il s'agissait, je me suis demandée ce que recouvrait ce terme au juste, et pourquoi il était si mal accepté. J'ai eu envie d'en parler.
J'avais dessiné en 2016 une première BD intitulée Appeler un viol un viol qui traitait d'un sujet similaire, dans le cadre d'une relation entre une de mes amies et son "sexfriend". Je voulais surtout briser les idées reçues sur le viol. On a tendance à penser que les violeurs sont toujours des inconnus menaçants qui coincent des femmes la nuit dans des ruelles sombres... Cela arrive bien sûr mais, en réalité, dans 90% des cas le violeur est bien connu de la victime (selon les chiffres de l'INSEE entre 2010 et 2015).
Je travaille depuis 2016 avec le web-magazine Femmes Plurielles, à l'illustration sous format BD de certaines des analyses réalisées par l'association FPS. Nous avions déjà produit plusieurs planches (notamment sur la place des hommes dans les mouvements féministes ou encore sur l'idéal de maternité imposé aux femmes). L'analyse d'Amandine Michez nous paraissait être un bon sujet pour une prochaine planche. Ce sont mes collaboratrices de Femmes Plurielles (Marie-Anaïs Simon en particulier) qui m'ont proposé de traiter ce thème, j'étais bien sûr prête à relever le défi ! Les analyses ont pour but de produire du contenu documenté qui puisse servir d'outil d'information offrant un éclairage et un décryptage minutieux de la société. Je suis convaincue que la BD (de même que la vidéo) est un bon moyen pour diffuser largement des idées. Personne ne se dit en rentrant chez soi : "Super, je vais lire une analyse de 15 pages sur le viol conjugal"... Alors que jeter un oeil à la BD "Passer à la casserole", ça fait moins peur. Cela rend le contenu accessible à des personnes qui n'auraient pas forcément pensé à se renseigner sur ce thème.
Voici quelques éléments qui me paraissent très importants : on peut être violé-e par un-e partenaire intime. Les femmes victimes de violences sexuelles au sein de leurs couples ont du mal à se percevoir en tant que victimes. Il peut y avoir viol conjugal sans violence physique (cas de contraintes psychologiques par exemple). Et les victimes ont tendance à ne pas reconnaître l'agression, voire même à se sentir coupables de ce qui s'est produit, ce qui rend la "guérison" encore plus difficile.
Dans une première version de la BD, j'avais écrit que les violeurs avaient rarement conscience de ce qu'ils étaient en train de faire. Nous avons échangé à ce sujet avec le Collectif Féministe Contre le Viol qui n'était pas d'accord, et soutenait que les violeurs savaient très bien qu'il s'agissait d'un viol. J'ai fait confiance à leur connaissance du sujet et retiré ce passage de la BD.
Je pense que nous avons tendance à imaginer des situations binaires : cette personne a envie de sexe avec telle autre personne ou bien elle n'en a pas envie. Toutes les situations qui se trouvent à la frontière sont compliquées à traiter. Lorsque l'on a envie de sexe mais que l'on finit par changer d'avis... Lorsque le partenaire nous plaît mais que ce n'est pas le bon moment. Lorsque une pratique en particulier nous déplaît ou nous gêne, alors que l'acte était jusque-là agréable... Le consentement vaut aussi pour toutes ces situations, peu importe que ce soit une personne que l'on aime, pour qui l'on éprouve du désire ! (cette vidéo amusante sur le consentement en est une excellente illustration). Tous les stéréotypes que l'on a sur le viol rendent vraiment difficiles d'utiliser ce mot, de comprendre ce qu'il recouvre et de proposer des solutions pour protéger les personnes et soutenir celles qui en sont victimes.
Je pense que pas mal de femmes ont été soulagées de lire cette BD et de réaliser qu'elles n'étaient pas seules à subir ce genre de pressions au sein de leur couple. Cela permet de mettre des mots, de se sentir légitime, d'en finir avec la culpabilité. Nous avons reçu pas mal de gentils commentaires nous remerciant pour cette publication. Bien sûr, nous avons eu aussi des commentaires plus négatifs qui ne comprenaient pas l'emploi du mot "viol" dans les situations décrites... Plusieurs personnes (de Femmes Plurielles et du grand public) ont su répondre intelligemment. Dans tous les cas, qu'on adore ou qu'on déteste, ça crée une controverse et ça ouvre un débat, ce qui est vraiment une étape importante à mon avis !
Avec Femmes Plurielles, nous poursuivons les BD en 2018. Nous n'avons pas encore défini tous les futurs sujets car nous nous basons sur les analyses effectuées et nous sélectionnons les thématiques ensemble. De mon côté, j'aimerais poursuivre ces publications assez courtes en format web, mais pourquoi pas me lancer dans un projet plus conséquent de roman graphique (en gardant toujours une petite note féministe) ? Avis aux éditrices ou éditeurs qui pourraient être intéressé-es...
En parallèle, je m'intéresse aussi beaucoup à la vulgarisation scientifique et j'aimerais illustrer davantage d'expertises scientifiques en BD. J'ai collaboré il y a quelques mois avec l'INRA pour produire une bande-dessinée sur la conscience des animaux, à partir de travaux réalisés par l'INRA et le CNRS. Je reste ouverte à d'autres opportunités de ce type qui me permettent d'allier ma passion artistique à certains de mes champs d'intérêt (militants ou scientifiques - ou les deux) !