"Une pandémie fantôme". C'est ainsi que Phumzile Mlambo-Ngcuka, la secrétaire générale adjointe de l'Organisation des Nations Unies (ONU), a qualifié l'explosion des violences faites aux femmes et aux filles depuis le début de la crise sanitaire. Car si ces violences constituent la violation des droits fondamentaux la plus répandue dans le monde (un tiers des femmes dans le monde affirme avoir subi une forme de violence, morale ou physique), cette année 2020 exceptionnelle aura exacerbé ce fléau au niveau planétaire. Partout dans le monde, les plaintes ou signalements ont explosé : +30 % à Chypre, +30% en France, +33 % à Singapour, +25 % en Argentine par exemple. En première ligne pendant cette crise sanitaire sans précédent, les "héroïnes" ont payé un lourd tribut, devenant les premières victimes du confinement.
En cette Journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes ce 25 novembre, quel bilan pouvons-nous tirer des premières réponses face à cette épidémie de violences ? Et si cette crise dévastatrice constituait une opportunité pour construire un modèle plus égalitaire ? Nous avons interrogé Fanny Benedetti, directrice exécutive d'ONU Femmes France, qui tire la sonnette d'alarme et appelle à un sursaut.
Fanny Benedetti : Nous avons suivi de très près l'impact de la pandémie sur les femmes et les filles. Et l'un de nos constats les plus frappants, c'est l'énorme augmentation de l'incidence des violences envers les femmes dans le contexte familial. Ce n'est pas une grande surprise : les deux tiers des violences dans le monde se passant dans le cadre intrafamilial, il y allait forcément y avoir une augmentation car pas mal de régions du monde se sont retrouvées dans un contexte de confinement. Par exemple, en France, les signalements pour violences domestiques ont enregistré une hausse de 30 % lors du premier confinement.
Mais il y a également eu une augmentation dans les pays qui n'étaient pas confinés, en Amérique Latine par exemple, car l'impact économique génère du stress, une tension qui augmente ces violences. La perte d'emploi, la perte de revenus, sont autant de facteurs aggravants des violences envers les femmes.
F.B. : Toute la typologie de violences, mais plus particulièrement les féminicides, les violences physiques, les violences psychologiques et économiques comme les pressions morales sur la conjointe pour restreindre sa liberté d'utilisation des revenus de la famille ou de liberté de circulation tout court – qui est aussi une forme de violence.
F.B. : Oui, exactement. C'est un double portrait de la situation des femmes et ça a été assez couvert par les médias, je trouve. On a bien vu ces femmes en première ligne dans la réponse à la crise, dans les domaines de la santé, du "care". Par contre, il y a eu un sujet majeur d'invisibilisation des femmes dans les strates décisionnelles. Cela a été très apparent, notamment sur les photos du conseil consultatif ou sur les plateaux télé. Les femmes étaient au premier plan dans la réponse, mais pas médiatisées. C'est un problème récurrent.
F.B. : Pour le moment, nous ne sommes pas satisfaits. Nous disposons d'un outil qui liste et suit les mesures gouvernementales et détermine si ces mesures sont sensibles au genre. Et très clairement, seule une poignée de pays a inclus cette dimension de genre à travers tous les secteurs. C'est dommageable car la "neutralité" administrative et politique ne permet pas de réduire les inégalités et les discriminations endémiques. Elle contribue même à les faire perdurer.
Il faudrait des mesures qui soient spécifiquement dédiées aux femmes, comme la question des violences. Par exemple, depuis l'avènement de #MeToo, il y a trois ans, on voit bien que la justice ne répond toujours pas aux besoins des victimes : du coup, que fait-on ?
Dans les 100 milliards prévus par la France pour répondre à la crise du Covid, on attend une exigence claire du président Macron et du gouvernement. Ils devraient se demander : "Est-ce que cette mesure va réduire les inégalités ou les accroître ? Prend-t-elle en compte la spécificité de la situation des femmes et des hommes ?"
Notre objectif, c'est de lancer un appel à cette fameuse "réponse genrée". L'urgence est maintenant. Et on ne peut pas laisser passer cette opportunité. Il faut se rappeler qu'Emmanuel Macron a fait de la cause des femmes la "grande cause du quinquennat". Et cela devrait se voir...
F.B. : Je pense que oui. C'est en tout cas un espoir très fort. Simone de Beauvoir le disait très bien : "N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question." Chaque crise peut être une remise en question des droits des femmes. Mais ces crises constituent aussi une opportunité pour faire avancer la cause des femmes et pour réduire les inégalités. On a pu le voir avec la Seconde guerre mondiale, lorsque le droit de vote a été accordé aux femmes en 1944.
Pour le moment, je ne vois pas ce sursaut, je n'ai pas l'impression que ce soit un sujet qui préoccupe nos dirigeants ou la société civile. Il faudra clairement beaucoup de pression pour que ce travail soit fait.
F.B. : Je pense que la ségrégation des emplois est quelque chose de très dommageable en termes de statut des femmes dans la société. Il faudrait une revolarisation des emplois les plus féminisés, c'est essentiel. Je pense notamment aux secteurs de la santé et du soin, l'éducation, les secteurs sociaux, les personnels d'entretien...
La violence n'est qu'une des conséquences multiples des discriminations endémiques, des stéréotypes de genres et du patriarcat. Donc pour lutter efficacement, il faut s'attaquer à la racine, se demander quelles sont les causes profondes de ces violences et de ce fléau universel plutôt que de se concentrer sur une litanie de chiffres qui deviennent finalement inaudibles.
- Si vous êtes victime ou témoin de violences conjugales, appelez le 3919. Ce numéro d'écoute national est destiné aux femmes victimes de violences, à leur entourage et aux professionnels concernés. Cet appel est anonyme et gratuit.
- En cas de danger immédiat, appelez la police, la gendarmerie ou les pompiers en composant le 17 ou le 18.