Nous avons rencontré l'activiste somalienne Leyla Hussein et la réalisatrice suisse Barbara Miller le lendemain de l'avant-première parisienne de #FemalePleasure, encore bouleversées par ce documentaire qui décrypte les tabous sur la sexualité féminine et l'insupportable injustice qui fige la place des femmes dans notre société patriarcale.
Pendant 1h37, la cinéaste suit cinq protagonistes qui se battent pour leurs droits et ceux des autres, et qui luttent contre les violences morales ou physiques faites à leurs pairs. Au fil de chaque portrait, on entend des réactions choquées, émues, révoltées de part et d'autres des rangées du cinéma Le Grand Rex. L'audience, composée principalement de femmes, mais aussi d'hommes, ne peut s'empêcher d'être atterrée par ce qu'elle découvre, même si elle est en grande partie peuplée de journalistes et d'activistes qui maîtrisent leur sujet.
Barbara Miller base son récit sur cinq textes issus des cinq grandes religions de notre époque - le judaïsme, le christianisme, l'islam, le bouddhisme et le brahmanisme. Toutes ont un point commun détestable : la femme y est représentée comme pécheresse, inférieure à l'homme et impure si elle n'est pas vierge immaculée.
La réalisatrice n'accuse en aucun cas la foi, elle vise plutôt les textes écrits par des hommes qui se servent de la religion pour asseoir une fois de plus leur soif de supériorité masculine.
Elles ne se connaissent pas mais leurs histoires font écho. Deborah Feldman, américaine, a fui sa communauté hassidique de Brooklyn avec son nouveau-né après avoir été mariée de force à 17 ans. Rokudenashiko, japonaise, a risqué 2 ans de prison pour avoir eu l'audace de créer un kayak à partir du moule de sa vulve, jugé "obscène", alors qu'au Japon, un festival célèbre les pénis à travers des statues phalliques géantes et des glaces à suçoter.
Doris Wagner, ancienne religieuse allemande, a quitté l'église catholique quand son dévouement à Jésus s'est transformé en viol répété par le Père Burkhard et étouffé par la mère supérieure. Vithika Yadav, indienne, a créé Love Matters après avoir été harcelée et agressée comme beaucoup de compatriotes. Un site qui parle de sexe et de relations dans un pays où l'amour est "un concept occidental" et où les violences sexuelles se multiplient sous l'oeil souvent impassible des passant·es.
Dr Leyla Hussein, Londonienne née dans une famille musulmane en Somalie, a été excisée à l'âge de 7 ans alors qu'elle été entourée de femmes proches de sa famille. Des tantes, des voisines. Elle évoque qu'en plus de l'acte criminel en lui-même, elle se souvient de la confiance brisée envers des personnes qui auraient dû la protéger. Depuis la naissance de sa fille, elle se bat contre l'excision, qu'elle appelle par son nom : un crime contre les enfants.
"Je me suis rendu compte que ma fille devrait être protégée des mutilations génitales mais aussi en tant que fille, et fille noire de surcroît, car elle en serait forcément traitée différemment des autres", confie-t-elle. Elle commence alors à poser des questions, à se renseigner. 17 ans plus tard, elle sensibilise les jeunes Londoniens issus de communautés musulmanes et voyage dans les communautés massaïs au Kenya pour faire campagne contre cette pratique qui n'a "rien de culturel".
"C'est un crime sexuel. Toucher ou couper les parties génitales d'un·e enfant est un crime sexuel. Il faut appeler un chat un chat", insiste-t-elle.
Son travail dérange, elle a été agressée et quelqu'un a même craché à ses pieds devant sa fille, dans la rue, à Londres. "Pas si libre, ce monde occidental !", lâche-t-elle. On lui demande si elle a déjà voulu déposer les armes, changer de vie, abandonner : "Tout le temps !", répond Leyla Hussein.
"Je reçois des menaces de mort, je ne diffuse jamais mon adresse, ni là où je me trouve sur les réseaux sociaux. Mais le pire, ce ne sont pas les mots ni les agressions. C'est qu'à cause du risque qu'ils engendrent, je ne peux pas trouver de travail." Une situation qui s'apparente à une prise d'otage.
Pourtant elle continue, car il est essentiel de "démarrer la conversation autour du plaisir féminin", insiste-t-elle, de lever le tabou, et de poursuivre ce combat contre les violences et pour l'égalité.
"Il faut que les femmes connaissent leur corps et n'en aient pas honte", affirme la réalisatrice Barbara Miller. En pointant les injustices et ceux qui en sont à leur origine, son documentaire #FemalePleasure veut libérer la parole, éduquer et faire comprendre aux femmes que leur corps n'appartient qu'à elles. Que le clitoris ou la vulve n'ont surtout rien d'obscène.
Deborah Feldman, protagoniste et autrice de Unorthodox, l'ouvrage qu'elle a écrit lorsqu'elle s'est échappée de sa communauté juive ultra-orthodoxe de Brooklyn, explique que petite, on lui disait que "tous les maux du monde arrivent à cause du comportement impur des femmes". Aujourd'hui, elle vit à Berlin, épanouie, et ne regrette pas sa décision malgré les nombreuses menaces de sa famille qui la qualifiaient de "pire que Goebbels".
Pareil pour Rokudenashiko, qui a échappé à sa condamnation et mène un quotidien heureux où elle continue son oeuvre vulvaire. Doris Wagner, qui est sortie de l'ordre religieux, est désormais mariée et mère, comblée, et ne lâche pas d'une semelle son combat pour la justice et la reconnaissance des fautes auprès de l'Eglise. Toutes ont repris possession de leur corps et se sont écartées du carcan que le patriarcat formait autour d'elles.
Pour Barbara Miller, leur(s) combat(s) est la preuve que chaque action compte. "Il faut se servir de ses propres compétences, que ce soit en aidant des associations, en s'informant, en relayant le travail des autres, ou en discutant avec son entourage". #FemalePleasure semble un bon point de départ, qu'on conseille sans modération.
#FemalePleasure, 1h37, sortie en salle le 1er mai.