"Banlieusard·e·s et fièr·e·s de l'être !". Un slogan qui claque, des drapeaux arc-en-ciel hissés haut et des coeurs battants. C'était le 9 juin 2019. Youssef, Yanis, Annabelle et Luca organisaient à Saint-Denis la première Marche des fiertés en banlieue. Combatif·ve·s, enthousiastes, galvanisé·e·s par cette envie de faire bouger les lignes au-delà du périphérique, ces jeunes étudiant·e·s de l'association Saint-Denis Ville au Coeur sont allé·e·s au bout de leur pari un peu fou. Leur objectif ? Inscrire la lutte LGBTQI+ dans un territoire où être lesbienne, gay, bi, trans, queer est souvent une discrimination de plus, qui vient s'ajouter au racisme, à la précarité et à l'image stigmatisée des quartiers populaires.
Cette marche historique, Hakim Atoui et Baptiste Etchegaray ont voulu la filmer. Le jour J, mais pas seulement. Pendant six mois, les deux réalisateurs ont assisté aux premières réunions dans des chambres d'ado, aux débats enflammés, aux tractages et aux collages d'affiches, au stress qui monte. Sans argent, sans producteur, armés de leur seule caméra, ils ont retracé cette aventure inédite au coeur de laquelle s'imbriquent politique et parcours intimes. Un premier documentaire autoproduit bouillonnant et joyeux qui raconte aussi la détermination contagieuse de cette génération Z désireuse de pulvériser les clichés et de se réapproprier des espaces- tant territoriaux que militants- trop souvent laissés en friche.
Nous avons discuté de ce joli projet avec l'un des réalisateurs, Hakim Atoui.
Hakim Atoui : C'est notre premier docu pour moi et Baptiste Etchegaray. Nous sommes amis depuis trois ans et nous avions envie de travailler ensemble. Le sujet s'est imposé à nous : la rencontre avec nos quatre protagonistes a été fortuite, un ami en commun nous a présentés. Ils nous ont expliqué les actions qu'ils comptaient mener pour St-Denis sur l'année 2018-209 avec le point d'orgue qui était cette Marche des Fiertés. On trouvait l'idée géniale, on leur avait dit que nous viendrions filmer le jour J. Puis on s'est dit que cette marche serait historique. Peu importe qu'elles et ils soient 5, 100 ou 500. On a décidé de les suivre pendant toute la préparation de cet événement. Ils nous ont dit oui tout de suite.
Votre film saisit bien l'énergie de cette jeune génération déjà très déconstruite et engagée. Une révolution est-elle en train de s'opérer ?
H.A. : Je pense que les réseaux sociaux ont un énorme rôle dans le militantisme d'aujourd'hui. Avant, des termes comme l'homonationalisme (terme qui désigne la tendance à désigner les racisés vivant en occident comme une "menace" contre la communauté LGBT+- Ndlr) ou l'intersectionnalité (notion qui désigne la situation de personnes subissant plusieurs formes de discriminations- Ndlr) existaient, mais il fallait faire des recherches plus approfondies. Et les personnes qui en parlaient avaient moins droit à la parole.
Ce n'est pas anodin que cette marche ait eu lieu après #MeToo. Il y a eu ce moment où d'un coup, on a commencé à écouter, on n'avait plus le choix. Aujourd'hui, on donne plus la parole à celles et ceux qu'on a réduit au silence pendant des décennies, voire des siècles. Et je pense que cette jeune génération bénéficie de tout cela. Et les réseaux sociaux permettent de se rendre compte qu'elles et ils ne sont pas seul·e·s. Avant, c'était plus compliqué. Aujourd'hui, on va sur Twitter, on tape un mot et on voit des milliers de gens qui pensent comme nous. Je pense que ça les a aidé·e·s, poussé·e·s et porté·e·s.
Oui, ce terme veut dire que l'on est discriminé·e à différents égards. Ici, la marche de St-Denis a été créée pour des personnes qui sont stigmatisées parce qu'elles sont banlieusardes, issues de l'immigration, d'une culture arabo-musulmanes, mais également parce qu'elles sont LGBT. Leur quotidien n'est pas le même que le quotidien d'une personne LGBT blanche dans une grande ville plus bourgeoise- Paris par exemple. Leur lutte et leurs revendications ne sont pas pas les mêmes. Il est primordial de le souligner.
Oui, et de leur côté, cela n'a pas été un problème. C'est ce qui fait qu'ils n'ont pas eu peur d'être face caméra, qu'ils n'aient pas peur de marcher. Ils n'ont pas honte de ce qu'ils ont. Cela force l'admiration. Car ils auraient pu être effrayés face à la médiatisation du projet, la réaction de leur famille... Mais ils ne se posent pas ces questions-là. D'ailleurs, leurs familles les soutiennent et elles sont même très fières de leur combat sur grand écran.
Oui, parce qu'ils font aussi de la politique. En tant que militants, on défend sa propre image, sa ville. Mais en fait, ils disent surtout : "On ne sait pas si la banlieue est plus homophobe que Paris, mais nous, on veut faire cette marche pour créer un lieu de représentativité et des discussions pour que ça le soit moins".
Ce qui les attriste surtout, c'est l'image très dégradée de la banlieue. Les gens partent du "principe" que la banlieue est plus homophobe. Alors qu'en fait, on en sait rien, il n'y a pas d'études sur le sujet. Pendant 6 mois, rien ne nous a prouvé que c'était le cas. Si nous avions assisté à des scènes violentes, nous les aurions intégrées au documentaire.
Et comme le dit Youssef à un moment, si jamais la banlieue était en effet plus homophobe, cela voudrait juste dire qu'il n'y a pas eu assez de moyens pour en parler, pour créer le débat, pour aller dans les écoles et échanger avec les enfants. La banlieue a toujours été un territoire de seconde zone, ghettoïsé.
Youssef fait partie des éléments qui nous ont vraiment convaincus de faire le documentaire. Dès le premier jour, elle (depuis la fin du tournage, Youssef a amorcé sa transition- Ndlr) nous a dit de manière rigolote et provocatrice : "Enfin les caméras s'intéressent à moi !". Mais elle ne s'arrêtait pas seulement au côté "show off" et drôle. Elle avait des choses très intéressantes à dire. Et elle encapsule le mieux tous leurs discours. C'est un exemple vivant de ces questions un peu abstraites d'homonationalisme, d'intersectionnalité, de ce que c'est d'être LGBTQI+ en banlieue et issu.e de l'immigration. Youssef est tout cela et elle sait en parler. Le documentaire aurait été tout autre sans elle.
Beaucoup de gens étaient à leur fenêtre, filmaient, ne comprenaient pas trop ce qui se passait. Pas mal de personnes regardaient passer ces drags, ces gens crier : "Les trans, les gouines et les pédés !". Il y avait un effet de sidération. Il y a eu du tractage, mais St-Denis est une très grande ville. Et les gens n'ont pas tout compris. Mais honnêtement, il n'y a eu aucun problème, ni agressivité, ni curiosité mal placée. On était très heureux pour eux. On ne s'attendait pas à ce qu'il y il y ait autant de monde ! Le tissu associatif a très bien fonctionné. A l'avenir, le challenge sera de transformer cette foule très militante en quelque chose de plus populaire.
Elle devait avoir lieu ce week-end (10 octobre), mais elle a été annulée. Elles et ils n'ont pas pu échapper à cette année 2020 un peu compliquée... Mais elles et ils sont vraiment décidé·e·s à faire celle du mois de juin 2021 si les conditions le permettent.
On l'espère de tout coeur. Ca fait sept semaines qu'on le présente un peu partout en France. On a été sollicités par des régions et des départements pour qu'ils l'intègrent à des dispositifs scolaires, pour parler d'intersectionnalité, mais aussi de militantisme auprès de la jeunesse, de ce que c'est de s'engager pour une cause. On espère que cela donne quelques clés.
La Première Marche
Un documentaire de Hakim Atoui et Baptiste Etchegaray
Sortie au cinéma le 14 octobre 2020