Tout a commencé par une sortie entre amis dans les rues de Nantes en 2015. Une soirée tranquille, à la cool. Et soudain, la consternation. "Je me promenais avec un ami et une amie lorsqu'un homme est venu mettre ses deux mains sur les seins de ma copine. Elle a baissé la tête tellement elle avait honte. Mon ami garçon n'a pas bougé. J'ai commencé à l'interpeller verbalement, c'est monté en pression. Mais le plus frappant, c'est qu'il n'y avait pas de gêne, aucun scrupule chez ce type. Comme si le corps de mon amie lui appartenait", se remémore Manon Tanguy.
Une fois rentrée chez elle, choquée, la jeune chanteuse ligérienne, que l'on a pu voir en première partie des concerts de Laurent Voulzy ou encore Dominique A, se met à écrire. Dans La taille de la jupe, elle raconte l'impunité, la violence du harcèlement de rue.
"Tu l'as abordée cette matinée/ Pensais-tu qu'elle t'attendait pour oser t'imposer ?/ Tu l'as bousculée/ Son humeur t'est-elle disposée Pour la lui gâcher ?/ Tu l'as croisée à la tombée de la nuit/ Pensais-tu que son corps t'appartenait ?/ Pour oser le toucher, pour oser le toucher, pour oser le toucher ?"
Dans ce titre, Manon se place du point de vue de l'agresseur. Derrière le caractère anodin de ce qui lui apparaît comme une simple danse, affleurent l'intrusion, la déviance. "La taille de sa jupe t'invite pourtant à la danse/Toutes des.../Qui te font perdre la tête/La taille de sa jupe t'invite pourtant à la danse", fredonne Manon. Une manière ironique de dénoncer cette culture du viol encore si prégnante, qui fait dire aux harceleurs : "Je ne comprends pas, elle était pourtant en jupe."
Pour mettre sa chanson en image, Manon a fait appel à l'artiste mutidisciplinaire et féministe Gabrielle Vigneault-Gendron, rencontrée à Montréal. Son très joli clip pop fait de collages (pas moins de 300 heures de travail de réalisation) décale la chanson sans en alléger la charge militante.
Cette chanson, écrite dans l'urgence il y a deux ans, trouve un écho tout particulier dans l'actualité de ces dernières semaines : depuis la bombe à fragmentation de l'affaire Weinstein, les hashtags #MeToo et #Balancetonporc déverrouillent la parole des femmes. "Je trouve cette libération de la parole fantastique. Peut-être que les débats actuels donneront à réfléchir aux hommes et à leurs pratiques. Peut-être que cela permettra une prise de conscience chez des gens qui ne se rendaient pas forcément compte. Je travaillais dans un lycée par exemple où l'un des profs, très sympathique au demeurant, faisait sans cesse des réflexions sexistes. Et lorsque je lui faisais remarquer, j'étais stigmatisée comme la féministe chieuse..."
Depuis la mise en ligne du clip de La taille de la jupe fin octobre, Manon a reçu des mails de remerciement. Elle a également été invitée par une école pour décortiquer et étudier la chanson avec des élèves de collège. Une expérience pédagogique qu'elle souhaiterait renouveler : "C'est le but : ouvrir le débat. L'éducation est primordiale, les représentations de genres aussi. Il faudrait déconstruire les clichés", explique-t-elle. "Se faire klaxonner, se faire toucher... Cela m'impressionne que des hommes puissent aller jusqu'à toucher le corps d'une femme sans réserve. C'est délirant." Et Manon fera tout pour que cela change.
"La taille de la jupe", extrait de l'album de Manon Tanguy, "Parmi les crocodiles"