À première vue, le monde politique n'a pas grand-chose à voir avec celui de la mode. Quand le second est taxé de futile, prompt à ne juger que sur les apparences et à se vautrer dans le luxe, les arcanes du pouvoir, elles, apparaissent dans l'imaginaire collectif comme un haut-lieu de solennité, où règne un sérieux à tout épreuve. Pourtant, ces deux univers ont bien plus en commun qu'il n'y paraît. Chez les people comme chez nos politiques, le vêtement y joue un rôle primordial. Reflet de la personnalité de celui qui le porte, il en dit aussi long sur son statut social et sur sa fonction. Tour à tour outil de com', symbole de la pesanteur protocolaire ou révélateur du sexisme en politique, le vêtement est primordial pour ceux qui nous représentent.
C'est ce que nous prouvent Gaëtane Morin et Élizabeth Pineau. Dans Le Vestiaire des Politiques (Éd. Robert Laffont), les deux journalistes passent en revue le dressing de nos élu.e.s pour en décrypter les codes, les usages et les couacs. Interview.
Terrafemina : Quelle a été la genèse du Vestiaire des politiques ? Pourquoi avoir décidé de consacrer un livre à l'habillement des femmes et des hommes politiques ?
Élizabeth Pineau : Avec Gaëtane Morin, nous sommes toutes deux journalistes politiques, moi chez Reuters, elle au Parisien Magazine. On est du même groupe de déjeuners politiques et on avait envie depuis longtemps d'écrire un livre ensemble. Il s'avère que je suis une passionnée de mode depuis très longtemps, c'est quelque chose qui m'intéresse. L'idée du Vestiaire des politiques nous est venue comme une illumination. On s'est rendues compte que rien n'avait jamais été fait sur la mode et la politique.
Tf : Comment avez-vous procédé pour recueillir des témoignages ? Certaines personnalités ont-elles refusé de vous ouvrir les portes de leur dressing ?
E.P. : Ça a été la partie la plus difficile. Pour obtenir 80 témoignages, on a dû lancer 300 demandes. Et ces 80 personnes présentes dans le livre, on les a relancées dix fois. Ça a aussi modifié le livre. L'évidence au début, c'était d'avoir Rachida Dati, Ségolène Royal, Nathalie Kosciusko-Morizet. Des femmes vraiment amoureuses de la mode. Et en fait, toutes ont refusé. Dior, Chanel n'ont pas non plus voulu répondre à nos questions. Finalement, on a été surprises de ceux qui ont accepté : Bruno Lemaire, Valérie Pécresse, Marie-Laure de Villepin.
Tf : Comment expliquez-vous une telle réticence ?
E.P. : Il y a un vrai message politique derrière le vêtement, qui a peut-être fait peur à ceux qui ont refusé. Cela peut paraître futile, et pour les femmes le vêtement peut se retourner contre elle. Je pense par exemple à Nathalie Kosciusko-Morizet qui a été très définie par le vêtement, Rachida Dati aussi. Elles ont certainement eu peur d'être résumées à ça. Le vêtement, c'est le corps, la peur de vieillir, le social, l'éducation. Beaucoup de femmes craignent donc d'être attaquées là-dessus.
Tf : Quelle fonction a le vêtement pour les politiques ?
E.P. : Pour un politique, le vêtement c'est avant tout la représentation. Même s'il est en week-end, il se doit d'être bien habillé, d'avoir une cravate. C'est aussi le reflet d'une personnalité et, évidemment, un message politique. Certains politiques n'hésitent d'ailleurs pas à changer de look quand ils briguent une nouvelle fonction. Ça a été le cas de Ségolène Royal qui a complètement changé de look lors de la présidentielle de 2007, de François Hollande qui a perdu 15 kilos pour donner l'image d'un homme nouveau. Mais en même temps, il ne faut pas avoir l'air déguisé. Je pense d'ailleurs que ça va être intéressant de voir ce qu'il va se passer pour les primaires de la droite et du centre.
Tf : Est-ce plus compliqué pour les femmes politiques de trouver le bon look ?
E.P. : Incontestablement. On leur fait vite un procès en cocotte ou en futilité. C'est hélas un combat qui est encore d'actualité. Des femmes politiques comme Najat Vallaud-Belkacem adoptent d'ailleurs le tailleur-pantalon pour éviter ce genre de remarques.
Tf : Le vêtement est aussi révélateur du sexisme en politique....
E.P. : On y a consacré tout un chapitre tellement les exemples sont nombreux. D'Édith Cresson qui a vécu l'enfer à Najat Vallaud-Belkacem qui a eu le malheur de poser en jupe au début du quinquennat de François Hollande, les cas de sexisme ne manquent pas. Parce qu'elle avait un rapport décomplexé à l'argent et aimait le luxe, Rachida Dati a sans doute aussi été jugée plus sévèrement qu'un homme. D'autant plus qu'elle occupait alors le poste de ministre de la Justice, un ministère régalien qui impose une certaine rigueur. Et puis il y a des femmes qui assument totalement leur féminité. C'est le cas de Marisol Touraine qui porte des robes et des jupes, de la couleur, du rose. Même ministre, elle est restée ce qu'elle est, ça la définit et on ne lui en parle pas tant que ça. Je pense que c'est plus difficile pour les ministres jeunes d'être complètement soi-même et de s'habiller comme elles le souhaitent. Il n'y a qu'à voir le changement de look opéré par Myriam El Khomri ces dernières semaines.
Tf : Quels politiques trouvez-vous les mieux habillés ?
E.P. Gaëtane Morin aime bien le style d'Emmanuel Macron. Moi je préfère Bernard Cazeneuve et son look à l'ancienne. Il a le chic à l'ancienne, ça ne se voit pas. C'est en regardant de plus près que l'on se rend compte que ses chaussures à l'anglaise sont parfaitement cirées et qu'il porte une épingle à cravate et que ses chemises portent ses initiales. Tout est dans le détail. Chez les femmes, on voit que Nathalie Kosciusko-Morizet aime vraiment la mode. Elle a un vrai parti pris en portant des marques très classiques comme Céline, Hermès. D'ailleurs, je pense qu'elle a eu tort de vouloir changer quand elle a brigué la mairie de Paris.
"Fleur Pellerin aime la mode depuis toujours, ça se voit. Elle ose beaucoup en mettant de la couleur, même si elle s'est assagie en arrivant au ministère de la Culture. Elle est aussi très féminine et porte presque toujours des robes."
"Là, le but de NKM, c'était vraiment d'être habillée comme la Parisienne par excellence. Ce qui est dommage avec ce look, c'est que l'on sent que ce n'est pas vraiment elle, que c'est de la com'. Elle est d'ailleurs revenue suite à sa défaite aux municipales à un look qui lui correspond plus, plus chic et classique."
"C'est une photo très importante car c'est celle qui l'a adoubée Première dame deux mois après son mariage avec Nicolas Sarkozy. Elle est allée chez Dior, une marque française, pour choisir sa tenue. Ici, Carla Bruni fait très Jackie O, presque démodée, alors qu'elle est d'habitude très sexy et n'hésitait pas à poser nue. Elle a d'ailleurs fait un tabac au Royaume-Uni."
"C'est l'exemple type de relooking un peu raté. Là, on n'est plus dans la politique mais dans le théâtre. Ça lui a valu pas mal de commentaires. On a beaucoup dit que la tunique qu'elle porte venait d'Antik Batik mais je crois qu'elle l'avait achetée en Inde. Elle portait un jean au bas effiloché, avait laissé ses cheveux lâchés et ondulés... Tout le monde s'en souvient, mais c'était vraiment déguisé, un peu vain. Après avoir beaucoup cherché son style, je trouve que maintenant elle est beaucoup plus elle-même. Toujours féminine, parfois avec un foulard qui jure avec sa robe, mais au moins ça lui ressemble.
"Cette robe à poissons lui a valu des remarques sexistes des députés de l'Assemblée nationale. C'était à la fois sexiste et à la fois politique, puisqu'elle présentait à cette époque la loi ALUR, qui était très contestée. C'est un exemple fort. Quand on dit "sexisme en politique", tout le monde se souvient de cet épisode.
"Ici, Rachida Dati se rend à un dîner d'État. Plus bling-bling tu meurs ! Mais en même temps, elle est très élégante et porte une robe française. Tout en elle crie 'pouvoir', ce qui a pu être pris pour une provocation. C'est une femme people, qui a réussi et a énormément gagné en notoriété grâce à son look. Elle connaît très bien le système médiatique et s'en est bien servi."
"C'est Madame Tout le monde, elle s'habille comme ses électeurs. Elle veut faire simple et accessible. Cet ensemble-là ne coûte certainement pas cher. Elle s'habille aussi très régulièrement en bleu-blanc-rouge les jours d'élection : manteau bleu, écharpe blanche et sac rouge. Le message est un peu gros, mais ça peut passer. Or, on sait bien que dans sa jeunesse, elle écumait les boîtes chics du VIIIe."
"MAM, c'est toute une histoire. Quand elle était aux Sports, elle se permettait des tenues féminines, elle aime la mode. Quand elle est arrivée à la Défense, elle s'est mise dans sa fonction de représentante des armées françaises : toujours en tailleur et pantalon, avec des gants – ce qui est un signe très fort pour le passage en revue des troupes. Elle s'est coupée les cheveux pour des raisons pratiques. C'est une tenue stricte, d'autorité mais marque aussi un peu sa féminité. C'était calculé mais ça lui a permis d'être une ministre de la Défense respectée, ce qui n'était pas forcément gagné au départ."
"Le goût pour la couleur vient à Marisol Touraine de sa mère chilienne. Elle ose prendre des risques, toujours féminine, avec des robes courtes – trop courtes disent certains. On la reconnaît, elle est toujours très élégante et porte un message politique fort : elle est à nulle autre pareille."
Gaëtane Morin et Élizabeth Pineau, Le Vestiaire des Politiques, Éd. Robert Laffont, 19 euros.