Fini de rire ? Jamais à court de bravoure, l'Association des journalistes LGBT s'est penchée cinq semaines durant sur l'une des émissions radiophoniques les plus populaires de France : Les grosses têtes, le fameux programme humoristique de l'animateur Laurent Ruquier. Seulement voilà, l'humour en question passe mal et cible bien souvent les mêmes catégories discriminées, si l'on en croit le compte-rendu très détaillé de l'AJL.
La liste force le respect : racisme, homophobie, culture du viol... Les femmes sont qualifiées de tous les noms d'oiseaux (Ménagères", "putains", "grosses", "moches", "stupides") à raison d'une remarque sexiste toutes les onze minutes (un record) et de 366 séquences discriminantes pour 24 émissions seulement - et donc 100 % d'émissions problématiques. A cela il faut encore ajouter les propos LGBTIphobes (observés dans 83% des programmes écoutés) et les clichés racistes abondants décochés à l'antenne. De quoi entrer dans le Guinness.
Et l'association de décrypter plus précisément le modus operandi spécifique de l'émission RTL : "Les grosses têtes est organisée comme une cour de récréation et reproduit ad nauseam les systèmes de harcèlement les plus classiques". Selon l'AJL toujours, la présence de plusieurs hommes "ouvertement gays" au sein du show radiophonique serait même utilisée "comme une caution qui atténuerait les propos homophobes".
Un sacré palmarès donc.
Des plus dommageables quand l'on sait que 2 millions d'auditeurs et d'auditrices écoutent régulièrement l'émission. Non content d'aligner les remarques discriminantes, Les grosses têtes accorderait également une certaine place à la banalisation des violences sexuelles, toujours sous couvert d'humour, à raison d'une émission sur deux. De plus, énumère enfin le rapport, les populations roumaines et les Roms y seraient régulièrement "assimilé·e·s à des voleurs" et les personnes asiatiques "traitées en responsables de l'épidémie de Covid-19".
Une beauferie de bonne ampleur qui aurait fait son temps, d'autant plus à l'heure des grandes révolutions féministes. Plus qu'humour problématique, l'AJL parle même "d'acharnement dissimulé derrière le rire". La philosophie du "on ne peut plus rien dire" dont usent les chroniqueurs serait brandie pour banaliser les discriminations, et les violences. "Ruquier et sa bande cochent toutes les cases du bingo de la culture du viol", déplore à ce sujet la militante féministe Valerie Rey-Robert, autrice de l'essai Une culture du viol à la française.
"L'humour gras, avec tout ce qu'il peut inclure de sexisme, racisme ou homophobie, est au coeur de l'émission depuis ses débuts, avec des pratiques de provocation au nom de l'humour. Dans Les Grosses Têtes, les paroles minoritaires ne peuvent pas émerger puisque ce qui permet d'être valorisé sont les boutades qui peuvent avoir des ressorts disqualifiants. Dans cet espace, les rapports de force dépendent moins de votre position sociale que de votre capacité à faire de l'humour aux ressorts stéréotypants", décrypte enfin la maîtresse de conférence en sciences de l'information et de la communication à l'Université Sorbonne Nouvelle Nelly Quemener. Ou quand les rapports de force émergent de la vanne...