Phyllis Schlafly a le sourire figé de ces dames de banlieues dorées, le geste gracieux et la robe pastel impeccable. Mais derrière son apparence policée, elle dissimule de bien sombres desseins. Car cette militante républicaine, qui a échoué à se faire élire au Congrès, a trouvé son "créneau" : elle va se poser en fer de lance de l'anti-féminisme. Et embarquer dans son sillage une cohorte de femmes au foyer pour s'opposer, dans les années 70, à la ratification de l'Equal Rights Amendment (ERA), amendement visant à garantir l'égalité des droits entre femmes et hommes aux Etats-Unis.
C'est l'originalité de Mrs. America, nouvelle mini-série historique léchée créée par Dahvi Waller, l'une des scénaristes du bijou Mad Men : prendre comme point d'entrée cette "égérie" réac, aussi brillante que clivante, pour explorer la "deuxième vague" féministe qui déferla aux Etats-Unis dans les seventies. Férocement ambitieuse et maline, cette mère de six enfants a rapidement réalisé que ses connaissances dans le nucléaire se révéleront finalement moins "vendeuses" que ses prises de position virulentes contre l'émancipation des femmes.
A grands renforts de rhétorique poussiéreuse, de "causeries" dans des salons cossus et de lobbying habile (les mies de pain maison, cela vous change un homme... et un vote), Phyllis Schlafly brandira le "cauchemar féministe totalitaire" comme ultime menace du sacro-saint "American way of life" ("La libération est dans les foyers"). Fédérant un réseau actif de housewives traditionalistes, elle étendra progressivement son influence. Et grâce à son armée de petites mains domestiques et à sa campagne "STOP ERA" (STOP pour "Stop Taking Our Privileges" - "Arrêtez de voler nos privilèges") parviendra à stopper l'avancée de l'amendement porté par les "émancipées" (comprendre les féministes).
Un personnage d'autant plus ambivalent que Phyllis Schlafly passera une bonne partie de sa vie à sillonner les routes, écumer les meetings, hanter les plateaux de télé et les couloirs du Capitole pour marteler que la place des femmes est... à la maison.
C'est donc cette meneuse de troupes à contre-courant qui sert de fil conducteur à cette fresque ample qui voit s'enchevêtrer les parcours des activistes majeures de l'époque et avec lesquelles Phyllis Schlafly croisera le fer. On y retrouve ainsi "Gloria" (Steinem, l'iconique et bouillonnante journaliste porte-parole du mouvement, interprétée ici par Rose Byrne), "Betty" (Friedan, incarnée par Tracey Ullman, émouvante en doyenne opiniâtre dépassée par la jeune génération). Ou encore (et surtout) "Shirley".
Car c'est l'une des belles idées de ce Mrs America : braquer une lumière salutaire sur Shirley Chisholm, première femme afro-américaine élue au Congrès en 1968. Une pionnière dont le nom, comme tant d'autres, a sombré dans les limbes de l'Histoire. Son épisode dédié, réalisé par la scénariste noire Amma Asante, se permet de subtilement interroger le féminisme blanc, sonde les problématiques du mouvement intersectionnel. Et interpelle sur la place des femmes racisées- seules, trop seules- en politique.
Avec sa patine vintage, sa B.O. rétro aux petits oignons, son casting royal (Cate Blanchett se régale et excelle dans la peau de la leadeure conservatrice) et sa reconstitution méticuleuse, Mrs. America nous offre une plongée captivante dans les méandres des petites histoires qui ont bâti la grande, rappelant à travers les alliances, les frictions, les pourparlers, les mensonges, les compromis(sions) que décidément, "tout est politique". A la fois hommage à ces défricheuses de la lutte et mise en garde contre le blacklash qui guette (le discours terrifiant de Phyllis Schlafly- décédée en 2016 juste avant l'élection de Trump- résonne encore en 2020), Mrs America est une série nécessaire qui appelle à chérir les acquis et à ne jamais baisser la garde.
Mrs. America
Série de Dahvi Waller
Avec Cate Blanchett, Rose Byrne, Uzo Aduba...
Diffusion en France sur Canal + Séries dès le 15 avril 2020