Société
Quelle est votre mesure prioritaire pour l'égalité ? Les militantes féministes nous répondent
Publié le 7 mars 2023 à 16:11
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
En cette semaine du 8 mars, nous avons demandé à des associations et ONG qui se battent au quotidien pour les droits des femmes en France comme à l'international quelle serait leur mesure prioritaire pour atteindre l'égalité. Voici leur réponse.
Quelle est votre mesure prioritaire pour l'égalité ? Les militantes féministes nous répondent
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Année après année, les chiffres sont toujours aussi éloquents et dramatiques. Inégalités salariales, mariages forcés, excisions, droit à l'avortement menacé, violences sexistes, sexuelles et psychologiques... Comment combattre les inégalités et les violences faites aux femmes ? Comment atteindre enfin l'égalité alors que les droits des femmes sont chaque jour bafoués ou fragilisés ?

Nous avons demandé aux militantes oeuvrant dans des associations et des ONG françaises et internationales quelle mesure prioritaire elles souhaiteraient mettre en place. Pas évident de faire le tri parmi les nombreuses les actions qu'il reste à entreprendre. Pourtant, en ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes, elles ont joué le jeu.

Voici leurs pistes de réflexion et leurs propositions pour bâtir un monde plus égalitaire.

Eduquer les jeunes au consentement :

"Si nous ne prenons pas le mal à la racine, c'est le tonneau de Danaïdes et l'augmentation sans fin des violences sexuelles et sexistes, exacerbée par une pandémie, les changements climatiques et les enjeux socio-politiques actuels. Et sans parler des violences intrafamiliales, il y a aussi les écarts de salaire entre hommes et femmes. Donc notre mesure-clé aujourd'hui serait de faire réfléchir les jeunes autour du consentement. Ce qui nous permet d'aborder de nombreuses thématiques qui nous préoccupent comme les mutilations sexuelles féminines, les mariages forcés, les crimes dit d'"honneur", les tests de "virginité", les crimes dits d'"honneur", mais aussi le harcèlement sexuel, le cyber-harcèlement, le "revenge porn", etc.. Autrement dit en France, sauf exception, les jeunes filles comme garçons ne sont pas "éduqués" au consentement. Et même si c'est dans la loi, aucun élève n'a suivi deux heures par an, par niveau scolaire de la maternelle au lycée, voir jusqu'à l'université, sur la vie sexuelle et affective à la question du "consentement", par rapport à ses parents, ses proches, ses camarades ; voire ses partenaires sexuels.

L'essentiel aujourd'hui serait de reprendre l'éducation dès le plus jeune âge, afin d'éviter les inégalités filles garçons, agir sur les stéréotypes de genre, de race, et de classe, qui sapent les fondements du vivre ensemble."

Isabelle Gillette-Faye, sociologue, experte, directrice générale de la Fédération Nationale & Ile-de-France GAMS, association de lutte contre les mutilations sexuelles féminines, les mariages précoces et/ou forcés.

Rendre visibles les femmes en situation de handicap pour lutter contre la double discrimination dont elles sont victimes :

"Depuis de nombreuses années, les personnes en situation de handicap se battent pour leurs droits et leur effectivité et contre les discriminations, pour l'égalité dans tous les domaines de la vie. Cependant, ces combats sont menés généralement au nom des "personnes", sans que soit prise en compte la dimension de genre. Les personnes en situation de handicap semblent victimes d'un phénomène d'asexualisation. De la même façon, les droits des femmes font l'objet de luttes sans que soit prise en compte la spécificité du vécu des femmes en situation de handicap.

Pourtant, force est de constater qu'être femme et être en situation de handicap implique bien souvent une double discrimination, des inégalités et stéréotypes renforcés et des difficultés spécifiques : manque d'accès aux lieux publics, aux transports et au logement, aux lieux de soins, parcours de scolarisation et de formation empêchés, moins d'opportunités en matière d'insertion professionnelle, niveau de vie plus faible, violences subies plus fréquentes, peu ou pas d'éducation à la vie affective et sexuelle, vie familiale souvent questionnée ("Cette femme pourra-t-elle s'occuper de son enfant ?")...

Il est nécessaire de prendre en compte le vécu spécifique des femmes en situation de handicap, que ce soit par la prise en compte de la dimension handicap dans les politiques à destination des femmes et par le développement d'une approche genrée dans les politiques à destination des personnes en situation de handicap."

Association APF France handicap.

Instaurer une journée de sensibilisation obligatoire aux violences sexistes et sexuelles :

"Ma mesure prioritaire pour atteindre l'égalité et défendre le droit des femmes est une mesure de prévention: à l'instar de la journée 'Défense et citoyenneté', il faudrait instaurer une journée de sensibilisation et de formation obligatoire 'Halte à la violence' pour comprendre ses mécanismes et ses conséquences. Et également faire le lien avec les chiffres : le coût de la violence, imputable principalement aux hommes, les actes violents, les prisons qui sont majoritairement occupées par des hommes pour des actes de violences. Cette journée serait obligatoire à 16 ans et nous pourrions mettre en place une journée de rattrapage pour les adultes.

Les violences sexuelles et sexistes sont la principale atteinte aux droits des femmes. Les combattre est un prérequis incontournable pour tendre vers l'égalité."

Ghada Hatem, fondatrice et médecin-cheffe à La Maison des femmes.

Investir dans l'éducation des enfants, en particulier des filles, dans le monde :

"Nous demandons que la France investisse davantage, à travers sa politique de coopération, dans l'éducation de base inclusive et de qualité, notamment en Afrique subsaharienne. En effet, l'éducation est l'un des meilleurs leviers pour atteindre l'égalité de genre dans le monde. Ce changement passe par des systèmes éducatifs transformateurs des rapports sociaux de genre, c'est-à-dire des systèmes qui déconstruisent les stéréotypes de genre et remettent en question les inégalités de pouvoir entre les genres, au sein comme à l'extérieur du système éducatif.

Les études ont montré que plus l'égalité de genre est encouragée à travers l'éducation et plus le niveau d'éducation s'élève, plus les violences de genre telles que les mariages d'enfant et les grossesses précoces diminuent. Or, moins de 20% du total des financements de la France sont alloués à l'éducation de base, qui vise pourtant à répondre aux besoins éducatifs fondamentaux. En dépit des progrès réalisés à l'échelle mondiale, 771 millions de jeunes et d'adultes ne savent toujours pas lire et écrire. De plus, seulement un tiers du financement des projets éducatifs de la France dans le cadre de sa coopération internationale est alloué à l'Afrique subsaharienne. La région compte le plus grand nombre d'enfants et de jeunes non-scolarisés, avec un total de 98 millions. C'est également la seule région où ce nombre est en augmentation. Il y a donc urgence."

ONG PLAN International France

Pancarte de la marche #Noustoutes © Catherine Rochon
Lutter contre les stéréotypes sexistes dès l'école :

"La mesure prioritaire pour nous est la prévention des violences : il faut systématiser, dans tous les établissements et à chaque niveau de la scolarité, l'intervention d'association professionnelles pour aider les jeunes à ouvrir un espace de réflexion sur les stéréotypes sexistes et la manière dont ils s'immiscent dans notre quotidien.

Nous constatons aujourd'hui dans les établissements que les représentations autour des rôles sociaux des hommes et des femmes (par exemple : "Ce sont plutôt les femmes qui doivent se charger de s'occuper des enfants" ou "Les garçons sont naturellement plus rationnels") restent prégnants chez la jeune génération. Il est important de les accompagner dans la constitution d'une réflexion critique, car ces représentations sont le terreau des violences."

Louise Delavier, Directrice des programmes d'En avant toute(s).

Combattre les talibans en Afghanistan :

"Mon engagement militant est, aujourd'hui comme en 1996, celui du combat contre les milices terroristes talibanes qui ont détruit mon pays, réduit la population à la misère, la peur et l'esclavage, tué, violé et massacré, enlevé aux femmes la totalité de leurs droits. Le travail de NEGAR est de sensibiliser et de mobiliser le monde à notre cause : notre combat est de convaincre que la non-reconnaissance des talibans est la condition sine qua non du rétablissement des droits des femmes et de la victoire de l'Afghanistan.

Aujourd'hui comme hier notre seul cri est : 'Non à la reconnaissance des talibans pour la reconnaissance des droits des femmes et des droits humains.' Donner la parole aux femmes qui manifestent dans les rues de Kaboul et disent : 'Notre voix, c'est notre arme, c'est nous aider beaucoup.'"

Shoukria HAIDAR, présidente de l'association NEGAR-Soutien aux femmes d'Afghanistan.

Stopper les violences au travail et en dehors :

"La France s'est engagée à ratifier la première convention internationale contre les violences au travail. Une bonne nouvelle ? A priori oui, mais pour que celle-ci soit vraiment efficace, le gouvernement devrait changer la loi existante. Car elle est insuffisante et les chiffres le montrent : en France, une salariée sur trois a déjà été harcelée ou agressée sexuellement au travail (sondage Ifop 2018).

Pour que cela change, nous demandons par exemple de rendre obligatoire la formation et sensibilisation des salariés et de sanctionner les entreprises qui ne le font pas. Nous demandons également aux employeurs de s'investir pour protéger leurs salariées victimes de violences conjugales (protection contre le licenciement, congés payés supplémentaires, mise en sécurité avec des déplacements géographiques...). Car bien souvent, ces violences impactent leur travail qui est pourtant leur planche de salut, et garantit notamment leur indépendance économique. Certains pays comme l'Espagne ou la Nouvelle-Zélande ont déjà sauté le pas : à notre tour maintenant de mettre en place une loi qui protège vraiment les femmes, au travail et en dehors."

Aurore Pereira De Oliveira, chargée de Plaidoyer Egalité de genre pour l'ONG CARE France.

Lutter contre la pornographie :

"Si nous ne devions choisir qu'une mesure, ce serait la lutte contre le pilier de la propagande patriarcale qu'est la pornographie. La pornographie est l'école et la légitimation des violences masculines. Il est le pivot central de la culture du viol, propage sexisme, racisme et lesbophobie, déshumanise et détruit des femmes. Il faut combattre le patriarcat à la racine, et cela passera nécessairement par combattre la pornographie, système mondial de violation des droits humains."

Fabienne El Khoury, porte-parole d'Osez Le Féminisme.

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