"J'ai déjà" : été suivi·e dans la rue, été sifflé·e, subi du harcèlement sexuel, subi des remarques à caractère sexuel ou sexiste, accepté d'avoir un rapport sexuel sans préservatif sous la pression, subi une agression sexuelle par un proche... Elles sont nombreuses et diverses, les propositions qui constituent le questionnaire imaginé par Alix Peigné et Lolita Augay. Sur son compte Instagram, cette dernière partage en stories les réponses des internautes anonymes à toutes ces questions. Et forcément, ça inquiète.
Cette étudiante en classe prépa littéraire a déjà recensé plus de 400 témoignages. abondamment relayée par des milliers de personnes, la grille qu'elle diffuse dresse un panorama plutôt exhaustif d'abus trop subis - et banalisés. Il est autant question de cyberharcèlement et de dick pics reçues en privé que de remarques sur la tenue ou le physique, de tentatives d'agressions sexuelles que de la contrainte au fameux "devoir conjugal" - qui pousse toujours autant de conjointes à "se forcer", comme l'a récemment démontré le sociologue Jean-Claude Kaufmann.
"Des gestes simples comme cette grille à remplir permettent de se rendre compte de la différence de vécu factuelle entre homme et femme, comme le fait que les femmes subissent le harcèlement de rue de manière quotidienne", nous explique par mail Lolita Augay. Avant de le déplorer : "Tout est banalisé, normalisé, intégré, étouffé. C'est une réalité : subir la plupart des choses qu'il y a sur cette liste est la norme aujourd'hui quand on est une femme".
Et qui se traduisent par le concret : sur les milliers de "votes" engendrés par les internautes, poursuit-la co-instigatrice, une majorité de ceux-ci cocheraient en moyenne la moitié des cases. Des observations qui font froid dans le dos. Remarques déplacées dans l'espace public, sentiment d'insécurité dans la rue, violences sexuelles... Ces "expériences" sont bien plus courantes pour les femmes que certains ne voudraient encore le croire.
"Les filles n'en peuvent plus. Mais que faire, alors que nous n'avons pas de preuves, que nous ne nous rendons même pas compte que ce phénomène est aussi généralisé, que tout le monde reste dans le silence ?", s'interroge Lolita Augay. D'où le choix judicieux de ce questionnaire comme tentative de prise de conscience globale.
De plus, l'anonymat facilite la libération massive de la parole. Il suffit simplement de cocher les cases pour rendre compte de son vécu. Et la parole, justement, a grand besoin d'être diffusée. La preuve ? Cette grille se serait déjà vue relayée jusqu'en Belgique, en Italie, et même en Australie. Il faut dire que les problématiques et tabous qu'elle aborde entre les lignes sont vastes et essentielles. Comme l'influence de la pornographie mainstream sur les pratiques sexuelles jugées "normales" pour plaire aux hommes, par exemple.
En dévoilant la réalité de violences sexistes et sexuelle "ignorées et subtilement acceptées", Lolita Augay désire également mettre en lumière les discriminations au sens large. Les violences faites aux femmes, mais aussi les violences raciales, et les violences de classe : toutes exigent d'être dénoncées afin d'éveiller les consciences. Car chacun de ces abus cristallise des situations d'inégalités, de conflit et de haine. Des inégalités qui "ne disparaîtront pas sans une éducation qui enseigne le respect et la tolérance", nous assure notre interlocutrice.
Un idéal compliqué à défendre à l'heure où un homme accusé de viol devient ministre de l'Intérieur. Mais qui porte déjà ses fruits, petit à petit. Prônant "un féminisme fédérateur et réaliste", la jeune militante nous explique en effet recevoir depuis plusieurs jours de nombreux messages de soutien de la part des hommes. Alors que les grilles se remplissent considérablement, la prise de conscience, elle aussi, s'effectue au gré des clics.