Qui, dans le mouvement des Indignés, aurait pu imaginer qu'une des leurs serait un jour en passe de diriger une grande ville espagnole ? Certainement pas Ada Colau. En 2011, celle qui était encore présidente de la PAH (Plataforma de Afectados por la Hipoteca), une organisation de lutte contre les expulsions de familles endettées, n'avait pas d'ambition politique. Aujourd'hui, la voilà pourtant en tête des élections municipales à Barcelone, devant le maire sortant Xavier Trias, un nationaliste conservateur.
A 41 ans, Ada Colau a mené campagne avec "Barcelone en commun". Une liste hétérogène, dans laquelle on retrouve plusieurs partis de gauche, dont notamment la jeune formation antilibérale Podemos, issue du mouvement des "indignés" qui avait occupé les places d'Espagne à partir du 15 mai 2011. Son credo : en finir avec les "privilèges" dans une ville qui, derrière ses attributs touristiques, est marquée par de profondes disparités entre zones riches et pauvres.
Malgré son manque d'expérience politique et des accusation de populisme à son encontre, l'Espagnole a su rassembler dimanche 24 mai plus de 176 000 électeurs, faisant obtenir à sa liste 11 sièges contre 10 pour le maire sortant. Une absence de majorité absolue qui conduit depuis 24h à des tractations en vue de former des alliances avec d'autres partis. Mais si Ada Colau va devoir mettre toutes les chances de son côté pour être investie par le conseil municipal, le risque d'être renversée par une coalition d'opposants est mince.
Malgré l'issue encore incertaine de l'élection, l'exploit de dimanche place directement la cité de Gaudí comme première ville conquise par les Indignés, et a fait verser quelques larmes de joie aux militants qui ont assisté à cette victoire. A l'issue du scrutin, c'est d'ailleurs une candidate en pleurs qui s'est présentée à eux : "Le désir de changement a vaincu la campagne de la peur, de la résignation, et avec ça c'est nous tous qui gagnons, surtout Barcelone", a déclaré Ada Colau devant ses partisans réunis derrière les slogans "Si, se puede", directement emprunté au "Yes, we can" d'Outre-Atlantique.
Comment expliquer un tel succès ? Si Ada Colau a convaincu par son discours, rien ne prédestinait pourtant celle-ci à s'asseoir sur le fauteuil de la mairie de la place Sant Jaume. Mère d'un petit Lucas de 4 ans, vivant en location avec son compagnon, celle qui a étudié la philosophie avant de quitter la fac pour nourrir sa famille a le visage rond, des cheveux courts, et apparaît le plus souvent en jean et T-shirt... Une dégaine de citoyenne ordinaire, qui n'a "jamais touché plus de 1500 euros", plus que de femme politique en quête de pouvoir.
C'est d'ailleurs la façon dont elle se caractérisait en juillet 2014, assurant dans les médias mener un combat de citoyenne plus que manifester un engagement politique. A la tête de la PAH, la militante a oeuvré en faveur des victimes de la crise dans un pays où 3,4 millions de logements restent vides. Devant les domicile de familles menacées d'expulsion, devant des banques "complices" de la situation, Ada Colau s'est construit une présence médiatique de femme de terrain. Après trois ans de mobilisation, la militante tape fort lors d'un discours devant les députés en 2013. Elle qualifie alors de "criminel" un banquier qui avait relativisé le problème de l'explosion de la bulle immobilière.
Non contente d'avoir obtenu la même année, grâce à son travail auprès de la PAH, le Prix du citoyen européen, attribué par le Parlement européen, Ada Colau veut désormais laisser parler la "démocrate radicale" qu'elle se disait être en juillet dernier dans le quotidien El Païs.
Premières mesures qu'elle compte adopter une fois au pouvoir : sociales, évidemment. Paralyser les expulsions dans la ville, convertir les appartements vides en logements sociaux, forcer les entreprises à réduire le prix de l'eau, du gaz, de l'électricité, proposer un revenu minimum de 600 euros pour les familles qui luttent pour leur survie. Mesure symbolique s'il en est : la probable future maire de Barcelone veut abaisser son salaire à 2200 euros par mois... contre près de 12 000 pour le maire actuel. Ada Colau veut également réduire le nombre de voitures officielles et limiter à deux le nombre de mandats.
Celle qui veut faire de Barcelone le "fer de lance d'un changement démocratique en Espagne et dans le sud de l'Europe", aura certes du pain sur la planche mais également de nombreux opposants. A commencer par le Parti populaire au pouvoir en Espagne, qui l'a déjà qualifiée de "terroriste".