La directive envoyée aux écoles de Kaboul, la capitale de l'Afghanistan, date du 6 mars. Les établissements seraient priés par l'administration scolaire de ne pas faire chanter devant un public mixte les jeunes filles de plus de 12 ans. Il est en effet coutume, comme le précise l'AFP, qu'une chorale d'écolières accueille les visiteurs lors de cérémonies publiques. La raison invoquée par la note ? Celles-ci doivent se concentrer sur leurs études. Une mesure hallucinante qui n'a pas manqué de créer un tollé.
Sur les réseaux sociaux, rapidement, le hashtag #IAmMySong ("Je suis ma chanson") fait son apparition. Une initiative du fondateur de l'Institut national afghan de musique, Ahmad Sarmast. Le 10 mars, il a décidé d'exprimer son indignation sur Twitter accompagné dudit mot-dièse. "L'accès à la musique et au chant est l'un des droits de l'homme et des citoyens les plus fondamentaux, ni la discrimination ni le sectarisme ne doit empêcher les femmes d'accéder ou d'enseigner cet art sublime", commente-t-il. Et invite : "Rejoignez la campagne en chantant une chanson en soutien aux droits à la musique et à la liberté des femmes afghanes."
#IAmMySong est relayé des centaines de milliers de fois (600 000 au 12 mars), et la pétition qui l'accompagne, signée par plus de 100 000 personnes. En ligne, des jeunes Afghanes entonnent leurs morceaux favoris. Une façon de dénoncer l'oppression dont elles sont victimes par l'art, et de s'accrocher à une liberté qu'on tente de leur voler. D'autres épinglent la "talibanisation" du gouvernement, en référence aux années 1996 à 2001, époque à laquelle les Talibans étaient au pouvoir, et les droits des femmes tragiquement bafoués (les filles, par exemple, n'avoir pas droit d'aller à l'école).
"En Afghanistan aujourd'hui, le ministère de l'Éducation a étouffé les voix de nos petites filles en leur interdisant de chanter", réagit à son tour Shamila Kohestani, ex-capitaine de l'équipe nationale féminine de football. "Ils apprennent littéralement aux fillettes qu'elles n'ont pas de voix". Shaharzad Akbar, à la tête de la commission indépendante des droits de l'homme, rejoint également le mouvement en se filmant en train de chanter face caméra.
La mobilisation prend une ampleur telle que l'exécutif a décidé, dimanche 14 mars, de revenir sur sa décision et de se désolidariser du rectorat à l'origine du texte. Il prétexte alors une maladresse, que le mémo concernait aussi bien les filles que les garçons, rapporte RFI, et que ses motivations venaient du contexte sanitaire : il s'agissait d'éviter tout rassemblement en raison de la pandémie de Covid-19.
Des explications qui sont loin d'avoir convaincu le peuple, particulièrement inquiet pour les femmes et les filles du pays, tandis qu'à Doha, au Qatar, les négociations en vue d'un accord de paix entre le pouvoir en place et les insurgés sont au point mort, souligne l'agence France-Presse. Au coeur de ces discussions justement, les droits des femmes, que le gouvernement est censé défendre.
"Comment peut-il le faire s'il ne le fait pas au sein de son gouvernement et dans les territoires qu'il contrôle ?", interrogent toutefois de nombreux·ses habitant·e·s d'une région déjà étiquetée comme l'une des plus répressifs pour les femmes.