Dans le jardin de Chihilsitoon, les femmes peuvent se déplacer (plus) sereinement. Pour une bonne raison : ce jardin public du centre de Kaboul n'admet qu'elles (et les familles) le mercredi. De quoi faire la part belle à la présence féminine, la sororité et surtout la sécurité. Une initiative loin d'être anodine en Afghanistan. Un récent rapport de la Commission afghane des droits de l'Homme relayé par Le Point nous rappelle effectivement que les violences faites aux femmes - et les violations de leurs droits - ne cessent de s'exacerber au sein du pays...
D'où l'importance, développe le site d'informations Reuters, de leur proposer des "safe spaces", c'est-à-dire des zones de sécurité où prime la solidarité féminine. En tout cas, c'est une nécessité pour le maire de Kaboul, Ahmad Zaki Sarfaraz, qui affirme au média sa volonté actuelle de "développer la ville en fonction du genre". Repenser et assurer la sûreté des espaces publics afin de garantir celle "des femmes et des enfants" ? On ne peut que saluer l'initiative...
Car à travers la question des espaces publics à Kaboul, c'est quelque chose de bien plus vaste qui s'exprime. Et c'est Luis Monreal, le directeur général de la Trust Aga Khan pour la culture (AKTC), chargée entre autres de la restauration et de la réhabilitation de certains édifices historiques de Kaboul (dont les jardins du Bagh-e-Babur), qui nous explique pourquoi.
Pour le directeur, ces parcs et jardins sont "des espaces sociaux importants" qui, au sein d'une société déchirée par la guerre, "peuvent aider à guérir les blessures et les cicatrices" de ses citoyens. (Re)penser le "tissu urbain", c'est important pour unifier. Et pour lutter en faveur de plus d'égalités. C'est pour cela que plus d'une demi-douzaine de jardins et de parcs ponctuant Kaboul sont désormais rénovés afin d'être beaucoup plus inclusifs.
Sous la coupe du régime islamiste et des talibans afghans, les femmes n'étaient - entre autres choses - pas autorisées à sortir de chez elles sans autorisation et sans escorte masculine, rappelle Reuters. Et aujourd'hui encore, elles hésitent à se rendre seules dans un parc. Craignent d'être importunées, harcelées, agressées. Ou pire encore. Mais peu à peu, les choses changent.
Aujourd'hui, ce sont des centaines de femmes qui, en milieu de semaine, se dirigent vers les nombreux parcs et jardins de Kaboul, plus sereines, moins angoissées. Notamment à Bagh-e-Zanana, surnommé "le jardin des femmes". Interrogée par Reuters, la lycéenne Salma Mohamedi trouve ces "safe spaces" tout à fait fondamentaux. "Il y a très peu d'espaces publics à Kaboul où les femmes sont à l'abri du harcèlement. C'est pour cela que nous aimons nous rendre au jardin", raconte-t-elle, assise aux côtés de ses amies étudiantes dans le Chihilsitoon Garden, exclusivement réservé aux femmes et aux familles le mercredi.
La jeune femme n'hésite pas à saluer cette impression de "paix et de sécurité" qui règne sur quelques-uns des jardins de Kaboul. "Dans le pays, la situation en matière de sécurité n'est pas très bonne. Mais ici, nous pouvons être nous-mêmes", s'enthousiasme-t-elle sur le gazon. Et c'est tout ce que souhaite Frozan Abdullah, membre du Programme des Nations unies pour les établissements humains (ou ONU-Habitat pour les intimes).
"Des décennies de guerre ont engendré la dépression, l'anxiété et bien d'autres problèmes physiques et psychologiques, en particulier chez les femmes, qui sont en grande partie confinées à la maison", déclare celle qui voit en la modernisation des parcs une réponse à cet enfermement patriarcal très oppressif. Et le maire de Kaboul d'opiner du chef : "Nous voulons encourager les femmes à sortir de chez elles, à marcher dans la rue, à se rendre dans les parcs et les marchés". Une marche des femmes forcément révolutionnaire.