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Amanda Filipacchi : "On sera toujours des esclaves de la beauté"
Publié le 18 mai 2015 à 18:24
Par Anaïs Orieul
Fille d'un grand ponte de la presse français et d'un célèbre mannequin américain, Amanda Filipacchi aurait pu devenir une "fille de" comme on en fait beaucoup. Au lieu de ça, elle a décidé de devenir romancière. Une romancière surréaliste comique même. Avec son quatrième roman baptisé "La regrettable importance de la beauté", elle vante la beauté intérieure et questionne notre attachement au physique. Rencontre avec une New-yorkaise très douée.
Amanda Filipacchi Amanda Filipacchi© Sipa
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Votre précédent livre, "Love Creeps", est sorti en 2005. Il vous a donc fallu dix ans pour écrire "La regrettable importance de la beauté". L'histoire a eu le temps de largement mûrir...

Chacun de mes livres a l'air de prendre de plus en plus de temps. Pourtant à chaque fois j'ai envie de prendre de moins en moins de temps, et le résultat c'est l'opposé. Là, c'est vrai qu'en plus il y a eu certains problèmes pendant certaines années où je n'ai pas pu écrire beaucoup. J'ai eu des problèmes de santé, des problèmes personnels...

Dans un article publié sur le site du New Yorker, vous racontez que vos parents étaient extrêmement beaux, que votre frère a hérité de leur beauté, mais pas vous. La question de la beauté a donc toujours été au centre de votre vie ?

Un peu. Mais je crois que pour la plupart des jeunes filles, c'est quelque chose qui est de toute façon assez présente. Ce n'était pas forcément plus le cas pour moi, même si c'est difficile à savoir. Mais c'est vrai que mes parents et mon frère sont très beaux. Je me souviens qu'à la table du petit déjeuner, quand mon frère avait à peu près 10 ans, je le regardais et je me disais : "C'est incroyable ce qu'il est joli !"

Dans votre livre, la mère de l'héroïne Barbara, est un grand top model. Un métier que votre propre mère a aussi exercé. Y-a-t-il un aspect biographique à "La regrettable importance de la beauté" ?

A la base, je n'avais pas mis cette histoire dans le livre. Je l'avais déjà vendu à une éditrice et elle m'a demandé de parler un peu plus de la famille de l'héroïne. Elle ne savait pas que ma mère était mannequin, donc je lui ai dit : "Ma mère était top model, je pourrais m'en inspirer, ça irait bien avec l'histoire". Mais habituellement, je n'ajoute aucun élément autobiographique, j'aime tout inventer. Ce détail est l'une des rares exceptions. Sinon, bien sûr, on trouve dans le roman le personnage de Georgia qui est écrivain comme moi. Il y a aussi Lily qui souffre d'un amour à sens unique, quelque chose que j'ai moi-même expérimenté, et dont plusieurs de mes amis ont souffert. C'est un sujet qui m'intéresse parce que je trouve qu'on peut vraiment se gâcher des années entières. On ne fait rien, on n'arrive pas à être heureux même si la vie est très belle.

La beauté est considérée comme une qualité presque absolue dans votre roman. Mais il y a le personnage de Lily. Elle est extrêmement laide et a beau être une musicienne au talent hors norme, aucun homme n'arrive à l'apprécier pour toutes ses autres qualités. Pensez-vous qu'il est vraiment impossible pour nous de voir de la beauté dans la laideur ?

C'est probablement plus dur pour les hommes que pour les femmes. Mais même parmi les femmes, je ne suis pas sûre qu'elles arrivent toutes à trouver de la beauté dans la laideur. Dans l'essai que j'ai écrit pour le New Yorker, je dis justement que moi, j'y arrive. Un jour, on m'avait présenté un homme à une fête. Je l'avais trouvé hideux. Il s'était assis à côté de moi et je m'étais dit "Oh non". Puis il a commencé à me parler, et au bout de cinq minutes, je me suis mise à le trouver super, gentil et tellement charmant. A un tel point que j'ai demandé à un ami s'il était célibataire. Donc, moi j'arrive à voir la beauté dans la laideur. Mais ce serait bien si plus de gens y arrivaient.

Le personnage de Lily crée un paradoxe avec Barbara, la narratrice. C'est une femme à la beauté éblouissante mais qui a recourt à divers subterfuges pour cacher son physique et devenir laide. Elle veut être aimée pour elle, et on pourrait trouver cela noble. Mais en voulant être aimée en dépit de son physique, est-ce qu'elle ne biaise pas les sentiments des autres à son égard ?

C'est sûr que Barbara n'est pas complètement honnête. Mais elle veut que ses autres qualités soient assez fortes pour que quelqu'un tombe amoureux d'elle pour ces qualités-là. Mais c'est vrai qu'elle peut aussi se demander si certains hommes ne vont justement pas être attirés par elle à cause de sa laideur ou parce qu'elle est grosse.

Aujourd'hui, il y a tout un tas de célébrités, Kim Kardashian en tête, qui sont devenues célèbres grâce à leur physique. Qu'est-ce que cela vous inspire ? Pensez-vous que le culte de la beauté va trop loin ?

Avant les stars de la télé-réalité, il y avait quand même les mannequins. Je ne connais pas très bien la vie de Kim Kardashian, mais oui, je pense que ça va trop loin. Après, on s'est toujours grandement intéressé à la beauté des femmes. Il y a très longtemps, les femmes étaient déjà soumises à des choses extrêmes avec les corsets par exemple. Alors est-ce qu'aujourd'hui, c'est pire ? Je ne suis pas forcément convaincue. C'est vrai que c'est dommage, mais comme je l'ai écrit dans mon essai, je suis moi-même fascinée par la beauté. C'est quelque chose que j'admire énormément depuis toujours, les hommes beaux comme les femmes. Et en même temps, je me reproche d'admirer la beauté comme ça parce que c'est quelque chose de superficiel.

Je vais vous raconter quelque chose d'intéressant. Le cousin de Darwin, Francis Galton, voulait savoir s'il y avait une différence entre le visage d'un végétarien et celui d'un criminel. Alors il a superposé plein de photos de criminels les unes sur les autres et pareil avec celles des végétariens. Il voulait ainsi trouver un visage type. Et à la place, il a découvert la beauté. Quand on y pense, c'est logique. Parce que si on mélange un visage avec un trop grand menton et un visage avec un trop petit menton, le résultat sera parfait. Donc scientifiquement parlant, la beauté humaine c'est la moyenne. C'est ce qu'il y a de plus normal. Alors que nous, quand on pense à la beauté, on pense à quelque chose de très extrême. C'est quelque chose de très intéressant, et en même temps, quand je raconte cette histoire à des femmes qui sont très belles, elle ne trouve pas ça intéressant du tout (rires).

Il y a de plus en plus de marques, et même de femmes qui prônent l'acceptation de soi, l'acceptation de toutes les beautés. Vous pensez que ça peut réellement faire changer l'idée qu'on se fait de la beauté ?

Je pense qu'en matière de beauté, les goûts peuvent tout à fait changer. On peut très bien imaginer que dans quelques années, ce sera la mode d'être potelée. Il y a déjà eu tellement de changements. Par exemple, quand j'étais jeune ce n'était pas du tout à la mode d'avoir des lèvres épaisses. Toutes les femmes qu'on considérait belles dans le cinéma, comme Catherine Deneuve, avaient des lèvres fines. Et puis Isabelle Adjani est arrivée et on a commencé à apprécier les bouches plus pulpeuses. Je pense que tout peut changer très vite, mais je ne pense pas que la beauté perdra un jour de l'importance. On sera toujours des esclaves de la beauté. Mais si j'ai tort et qu'un jour notre société n'est plus intéressée par ça, ce sera très intéressant à voir.

Vos romans ont tous un côté surréaliste. On vous décrit même comme une "surréaliste comique". Vous imaginez un jour écrire un livre beaucoup plus terre à terre ?

Dans mon livre précédent, "Love Creeps", j'avais tenté de résister donc je n'avais pas mis d'éléments magiques. Néanmoins, l'histoire était très bizarre avec des personnages très excentriques, donc on peut dire que le roman était surréaliste. Est-ce que je pourrais écrire un livre sans tout ça ? Je ne sais pas. Cela dépend aussi de la méthode d'écriture utilisée. Jusqu'à présent, j'ai toujours énormément réfléchi avant d'écrire et donc je prends mon temps pour chercher des idées que je trouve originales. Mais il y a d'autres manières d'écrire. Par exemple, si j'essayais d'écrire un roman avec une écriture automatique, peut-être que le résultat serait moins extravagant.

Vous avez déjà votre prochain roman en tête ?

Oui, j'ai même commencé à l'écrire. C'est un livre que je trouve très drôle. A chaque fois que je m'assieds pour écrire, je commence à rire. C'est tellement agréable que je me dis que je devrais parler de ce héros dans tous mes romans jusqu'à ma mort. C'est l'histoire d'un homme très ridicule. Il est ambitieux, il a une très grande estime de lui-même, mais il est vraiment ridicule. Donc je me moque un peu de lui...

Dans votre essai pour le New Yorker, vous dites que certaines choses que vous avez écrites dans vos trois premiers romans ont fini par se réaliser. Si cela devait arriver avec "La regrettable importance de la beauté", qu'aimeriez-vous voir devenir réel ?

Il y a plusieurs choses que j'ai mis dedans que j'aimerais voir se réaliser. Bon déjà, comme je l'ai dit dans le New Yorker, j'ai créé une héroïne très belle en espérant qu'elle allait déteindre sur moi (rires). Barbara est aussi une femme qui n'aime pas les aliments qui sont mauvais pour la santé ou qui font grossir, alors j'ai mis ça en espérant que j'allais avoir bientôt les mêmes goûts qu'elle ! Je lui ai aussi fait un appartement magnifique et très bien arrangé, alors que chez moi c'est le bordel. Je me suis dit que comme ça j'allais peut-être commencer à faire le ménage (rires). Malheureusement, ça n'a pas du tout marché. Sinon, il y a aussi Georgia, qui est écrivain et qui emmène son ordinateur partout avec elle pour écrire plus. Et j'aimerais être comme ça.

Sur votre page Wikipédia, on peut lire que deux studios ont acheté les droits de vos livres "L'homme déshabillé" et "Love Creeps". Où est-ce que ça en est aujourd'hui ?

En fait, il y a des options sur tous mes livres. Mais ça ne veut pas dire grand-chose. Il paraît qu'aux Etats-Unis les statistiques démontrent que seulement 1% des romans sur lesquels il y a des options sont adaptés au cinéma. Yvan Attal s'intéresse depuis longtemps à "Love Creeps". Tous les quelques mois il me contacte pour en reparler. La dernière fois on s'est même vu avec lui et Charlotte Gainsbourg, parce qu'il aimerait qu'elle tienne le rôle principal. Il y a quelques années, le réalisateur Neil LaBute voulait également porter à l'écran mon deuxième roman, "Un nuage dans le placard". C'était allé très loin. Au casting il y avait Sandra Bullock, Ralph Fiennes, Angelica Houston et Aaron Eckhart. Et juste au moment où le tournage devait commencer, tout s'est écroulé. Donc là, Yvan Attal voudrait réaliser "Love Creeps" et confier le scénario à Neil LaBute. Mais là tout de suite, je ne sais pas ce qui se passe.

Quel livre auriez-vous aimé écrire ?

"A la recherche du temps perdu" de Marcel Proust. C'est mon livre préféré.

Quelles sont les femmes qui vous inspirent ?

J'aime beaucoup Emma Watson, j'ai trouvé son discours à l'ONU très inspirant. J'admire les femmes qui se battent pour obtenir l'égalité des sexes. En 2013, j'avais écrit un article dans le New York Times parce que j'avais remarqué que sur Wikipédia, il y avait une catégorie "Romanciers américains" et une sous-catégorie seulement dédiée aux femmes. Du coup, les femmes n'apparaissaient pas dans la catégorie principale, ce qui empêchait les utilisateurs de Wikipédia de les voir . En me plaignant de ça dans mon article, j'ai créé un énorme scandale. Du coup, certains contributeurs de Wikipédia étaient très fâchés d'avoir été critiqués et ils ont tout de suite attaqué ma page. Ils ont aussi attaqué la page de mon père, la page de ma mère, la page d'Hachette, la compagnie de mon père. Un contributeur a fait plus de mal que les autres et personne n'arrivait à l'arrêter. Finalement, Salon.com a révélé son identité, et il s'agissait en fait d'un écrivain (Robert Clark Young) qui avait sa propre page Wikipédia. Pendant six ans, il n'a pas arrêté de salir les pages des autres. C'est une histoire assez drôle, mais ça montre bien qu'il y a encore beaucoup d'inégalités entre les hommes et les femmes. J'admire les gens qui essaient d'obtenir cette égalité.

"La regrettable importance de la beauté", XO éditions, 313 pages, 19,90 euros

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