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Féminisme, éducation des garçons... Les jolies leçons d'Amina Frühauf, mère de Bilal Hassani
Publié le 14 mars 2022 à 17:48
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Dans un livre humble et généreux, Amina Frühauf, la maman du chanteur Bilal Hassani raconte son parcours de femme marocaine aujourd'hui citoyenne française engagée, mère attentive et éprise de liberté. Un témoignage aussi émouvant que militant. Nous l'avons rencontrée.
Amina Frühauf, la mère de Bilal Hassani, témoigne Amina Frühauf, la mère de Bilal Hassani, témoigne© Michel Lafon
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Elle a mis du temps avant de se lancer et de coucher son histoire sur le papier. Dans Etre mère- Taha, Bilal et moi, Amina Frühauf, la mère du chanteur Bilal Hassani, se confie avec une désarmante sincérité. Elle y raconte son enfance asphyxiée par l'étau patriarcal de son Maroc natal, l'éducation féministe de son père qui lui a permis de s'en extirper, sa soif de liberté, chevillée au corps. Mais elle livre aussi un témoignage poignant de mère face à ce qu'elle nomme la "singularité" de Bilal, sur la façon dont elle a accompagné en douceur (et la boule au ventre) l'homosexualité de son fils et distille ses astuces bienveillantes pour garder contact avec ses deux garçons confrontés à la dureté du monde.

Nous avons longuement échangé avec celle qui est aujourd'hui manageuse de sa star de fiston. Un témoignage entre espoirs et combats.

Terrafemina : Dans les remerciements, vous parlez d'un certain Julien qui vous a convaincue de "l'intérêt citoyen" d'écrire ce livre. Comment le comprenez-vous ?

Amina Frühauf : Chaque citoyen apporte sa pierre à l'édifice. On est toutes et tous en mesure d'apporter quelque chose. Julien, en utilisant ce terme, m'a interpelée. Il m'a dit que je n'avais pas le droit de garder mon parcours pour moi.

Votre ennemi, vous le nommez : le pouvoir patriarcal. Vous vous sentiez "différente" dans ce Maroc où vous êtes née et avez grandi. Vous ne vouliez pas vivre votre vie sous l'autorité de qui que ce soit. Votre père vous a aidée à acquérir cette indépendance.

A.F. : J'ai grandi avec un père exceptionnel pour l'époque et pour le pays. Il faisait le ménage, il faisait la vaisselle... Je faisais partie d'une fratrie de 4 filles et 3 garçons. Et il disait à mes frères : "Vous n'avez pas le droit de toucher à mes filles. Elles ne sont pas vos bonnes. Si tu as envie d'un verre d'eau, tu te lèves et tu vas te le chercher". Au quotidien, il nous a montré la voie. Pourtant, ça ne se passait pas comme ça dans les autres familles. Cela m'a toujours rendue fière. Il avait un discours très progressiste, féministe. J'ai eu énormément de chance.

A 22 ans, vous avez quitté le Maroc pour la France, en quête de liberté, d'égalité et de fraternité. Pourtant, dès votre arrivée, avez été confrontée au racisme. Mais vous ne vous attardez pas là-dessus dans votre livre.

A.F. : Je suis partie du Maroc parce que je ne me sentais pas en sécurité en tant que femme à cause de ce système patriarcal. Et j'ai choisi la France car c'était le pays des droits de l'Homme avec cette devise qui m'a beaucoup attirée.

Ce racisme, je ne m'y attendais pas. J'étais peut-être naïve. On m'a discriminée, on a traité mon père de terroriste alors qu'il était tout simplement un résistant face à l'Occupation française. Je n'ai pas voulu m'attarder sur ce point du racisme parce que j'ai rencontré plus de gens bienveillants et accueillants que de personnes qui m'ont rejetée.

Livre de Amina Frühauf, mère de Bilal Hassani
Un mot revient sans cesse tout au long de votre témoignage : le mot liberté. Liberté d'être soi-même en ce qui concerne votre fils Bilal, mais aussi votre liberté de femme.

A.F. : Oui. Pour moi, c'est non négociable : je ne peux pas vivre sans ma liberté. Une fois cela posé, on se sépare de pas mal de choses. J'ai quitté mon pays natal, ma famille, mes amis d'enfance pour ma liberté. J'ai laissé tomber l'amour d'un homme que j'ai pourtant aimé. Parce que je ne conçois pas ma vie sans cela. Je ne peux pas accepter de vivre ma vie enchaînée à un homme qui ne me respecte pas. Je ne sais pas si j'ai raison ou tort, mais c'est mon objectif.

Vous considérez-vous féministe ?

A.F. : Oui, je suis une féministe et je le revendique ! J'ai éduqué mes deux garçons dans cet état d'esprit et je continue à les surveiller, notamment mon fils aîné qui est hétérosexuel. Car certains hommes hétéros se croient tout permis.

Par exemple, mon fils aîné Taha a été harcelé au collège parce qu'il était "gentil" avec les filles. A 27 ans, il est encore entouré d'hommes qui trouvent que "les féministes réclament trop de choses alors qu'elles ont déjà pas mal de choses, pourquoi elles viennent nous embêter avec l'égalité des chances et des salaires ?". Je veille au grain et j'applique mes propres conseils à moi-même : s'il faut casser l'ambiance, on casse l'ambiance. Si quelque chose sort du cadre, je le dis.

Très vite, vous avez compris que Bilal était "différent" de ce que la société attend d'un garçon. Avez-vous eu peur pour lui ?

A.F. : Face à la singularité de Bilal, mon premier réflexe a été de le protéger. Puis de lui donner les outils et les codes pour qu'il se protège. Et je me suis demandé comment gérer ma peur lorsqu'il aurait l'âge de sortir tout seul. Je savais que cela allait être une angoisse permanente et qu'il fallait que je travaille sur moi pour ne pas enfermer mon enfant, que je ne lui retire pas sa liberté, moi qui chéris tellement la mienne. La peur est toujours là, mais je fais en sorte qu'elle ne nous paralyse pas.

Bilal Hassani et sa mère Amina Fruhauf au show Jean Paul Gaultier le 26 janvier 2022 à Paris © Tiziano Da Silva/Bestimage
On sort de plus en plus de ces classifications hétéronormées, notamment grâce à cette nouvelle génération "gender fluid". Une bonne chose ?

A.F. : Je suis pour, forcément. (rires) Mais il faut pousser plus loin. Il faut qu'on respecte une bonne fois pour toutes la nature profonde des enfants. Si les enfants expriment l'envie ou le besoin d'être considéré comme tel ou tel, qui sommes-nous pour lui dire non, tu n'as pas le droit de montrer cette facette ?

Il n'y a qu'à voir les rayons de vêtements. Le nombre de garçons qui n'osent pas prendre un T-shirt "de fille" par peur du regard des gens. Ce sont des choses parfois basiques, mais qui peuvent changer bien des choses. Lorsqu'il a sortir sa collection de vêtements, Bilal a voulu qu'elle soit placée entre les rayons filles et garçons. Ca ouvre des possibilités.

Vous évoquez longuement la reproduction des violences et insistez sur l'importance de l'éducation chez les garçons. "Sans éducation, il n'y a pas d'avenir", dites-vous.

A.F. : Chacun doit se poser la question qui paraît toute simple : quel est mon rôle ? Pourquoi je suis là ? Pourquoi j'ai décidé d'avoir des enfants ? Par pur égoïsme ? Déjà, avoir des enfants n'est pas une obligation. Et quand vous décidez d'avoir des enfants, posez-vous la question de pourquoi vous le voulez.

Etes-vous capable d'assumer la responsabilité d'éduquer un enfant et d'avoir un amour inconditionnel pour cet enfant quelle que soit sa singularité et quels que soient vos principes et vos croyances pour l'aimer, l'accepter et l'aider à se construire ? Ce sont des questions vertigineuses. Il y a tant d'enfants que les parents mettent dehors parce qu'ils sont homosexuels... C'est terrible. Ces gamins sont brisés psychologiquement. C'est comme ça qu'on va construire une société ?

Avez-vous des astuces personnelles ?

A.F. : Il n'y malheureusement pas de méthode certifiée sinon, on l'aurait toutes et tous utilisée ! Le plus important, c'est de garder le lien avec ses enfants. Chaque parent doit réfléchir à une méthode dès la naissance de l'enfant. Parce que quand arrive l'adolescence, on est déjà en crise... Si on n'a pas installé de rituels avec l'enfant, ça va être de plus en plus difficile de communiquer avec son gamin. Plus il va grandir, plus il va être confronté à la violence de la société.

Moi, j'ai mis en place des outils qui ont fonctionné jusqu'à maintenant, des "stratagèmes" pour faire parler Bilal et Taha du harcèlement qu'ils subissaient par exemple. Comme ce "confessionnal du dimanche" où je me retrouvais chaque week-end avec mes deux garçons et que je tentais de les faire parler et de comprendre ce qu'ils vivaient. J'espère que ces petits conseils pourront aider certains parents. Mais chacun doit creuser et essayer d'inventer.

Face au cyberharcèlement que subissait Bilal, vous avez choisi de l'isoler, de le couper des réseaux sociaux.

A.F. : Oui, il faut en revenir aux basiques : il y a cette violence et je dois rappeler à mon fils qu'il est normal, que c'est un être humain et non un monstre contrairement à ce que les harceleurs veulent lui faire croire. On a commencé par l'isoler, lui dire de respirer et de se détacher de ces messages de haine. Je lui ai beaucoup répété, tout comme son père, que je l'aimais. Le noyau familial l'a entouré. Ca l'a aidé, mais ce n'est pas suffisant.

Il ne faut pas hésiter à demander de l'aide auprès de spécialistes parce que la santé mentale est primordiale. Et le harcèlement, qu'il soit virtuel, scolaire, professionnelle, impacte notre santé mentale.

Vous avez de jolis mots pour les mères célibataires. Les pensez-vous trop marginalisées ?

A.F. : Oui, elles sont oubliées. Quand vous êtes une mère célibataire et que vous cherchez un appartement, vous allez galérer parce que les propriétaires ne vous font pas confiance : vous êtes une femme et que vous n'êtes pas "protégée" par un homme. Et en plus, vous avez des enfants.

Quand vous allez demander de l'aide à votre municipalité, on vous sort une grille et si vous n'êtes pas dans le barème, on ne vous voit plus, vous n'existez plus. Et ces mères se retrouvent dans des situations très précaires. Il faut beaucoup de force et de persévérance. Et parfois, on est vraiment découragée, surtout quand le divorce a été compliqué. Les personnalités politiques devraient s'emparer de ce sujet.

Ancienne directrice de projet dans l'informatique, vous gérez aujourd'hui la carrière de Bilal. On connaît de nombreux exemples de "momagers" (tout comme des pères managers) qui poussent leur enfant-star à bout. Craignez-vous parfois de tomber dans cet écueil ?

A.F. : Lorsque Bilal m'a demandé de devenir sa manager, j'y ai pensé et en ai toujours été consciente. Je sais qu'on peut très vite basculer. Je suis consciente de notre part sombre.

Le plus important, c'est la santé mentale de Bilal. Avant la célébrité, avant le gain d'argent. Et il faut se le répéter. Parce qu'on est tenté dans ce milieu de paillettes. Alors, il faut rester vigilante. Et j'ai toujours dit qu'il pouvait me virer si jamais il n'était pas content de moi. Je le dis en riant, mais je veux qu'il garde ça en tête.

Vous faites une belle déclaration à la France, votre pays d'accueil. Quel regard portez-vous sur le paysage politique actuel ?

A.F. : Wow. (elle réfléchit) Déjà, il faudrait qu'on m'explique le "grand remplacement". Pourquoi cette formule passe-t-elle aussi facilement ? Je ne comprends pas comment on en est arrivé là. C'est une dérive absolue. Il faudrait que tout le monde se ressaisisse. La mémoire humaine est-elle si courte ? Cela me désole vraiment.

Mais comme je suis une personne optimiste, je me dis qu'on va s'en sortir. Et j'aime tellement ce pays, c'est un grand pays avec des valeurs. Comme un ado en crise : il reviendra à ses valeurs après s'être égaré.

Avec ce livre et vos prises de parole, vous considérez-vous militante ?

A.F. : Oui. J'ai mis trois ans avant de prendre la décision d'écrire ce livre. Aujourd'hui, je me sens disponible. Je le dis : si vous avez besoin de mes humbles compétences, que j'explique mon parcours, je suis là. J'ai envie de militer, d'apporter quelque chose, principalement à des femmes, à des mamans. Si quelqu'un trouve une ligne dans ce livre intéressante qui peut aider telle ou telle personne, je serais partante.

Être mère - Taha, Bilal et moi

Un livre d'Amina Frühauf (Editions Michel Lafon)

Mots clés
people maternité mère témoignage Bouquinclub interview education Femmes engagées enfants parentalité
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