En Azerbaïdjan, il naît 117 garçons pour 100 filles, sans qu’aucune raison biologique ni politique ne puisse expliquer cet état de fait. Statistiquement, la moyenne constatée dans la majorité des pays est de 105 garçons pour 100 filles. On savait depuis longtemps que les cultures et systèmes matrimoniaux chinois ou indiens encourageaient largement la sélection des enfants selon leur sexe, en préférant les garçons, faisant grimper le sex ratio jusqu’à 118 (nombre de garçons qui naissent pour 100 filles) en Chine et 110 en Inde.
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Moins connue et moins évidente est la loi latente qui sévit dans certains pays du Caucase et d’Europe du Sud-Est. Une étude de l’INED publiée le 11 décembre met en lumière la progression exponentielle du sex ratio dans les années 90 en Azerbaïdjan, Arménie, Géorgie, au Kosovo, en Albanie, Macédoine et Monténégro.
Les courbes montrent que le phénomène est loin d’être nouveau, comme le confirme Géraldine Duthé, co-auteur de l’étude : « L’augmentation du nombre de naissances de garçons par rapport aux naissances de filles débute dans les années 1990. Le phénomène a été signalé une première fois par une étude en 2001, mais n’a pas été pris au sérieux. » Deuxième alerte en 2011, et aujourd’hui cette nouvelle étude qui tente d’identifier les facteurs de cette recrudescence de garçons.
Et de fait à la même époque apparaissaient des cliniques privées, mieux équipées technologiquement. Il est probable que les pays de l’ex-URSS aient découvert l’échographie dix ans après leurs voisins de l’occident et de l’Asie. Et de même qu’en Chine et en Inde le nombre de petites filles a fortement diminué sous l’influence de ce nouvel instrument de diagnostic prénatal, les pays du Caucase et de l’Europe du Sud-Est ont commencé à avoir recours aux avortements sélectifs, avec d’autant plus de facilité que l’IVG était déjà largement banalisée dans ces sociétés.
Enfin, comme tous les pays d’Europe, les Balkans et l’Europe centrale ont connu une baisse très significative de leur fécondité (nombre d’enfants par femme en âge de procréer), pour descendre à moins de deux enfants par femme, « ce qui rend l’injonction d’avoir un garçon d’autant plus pressante », commente G. Duthé.
Pour autant, cette injonction n’a jamais été explicitement formulée dans ces pays et c’est sans doute ce qui inquiète le plus les démographes. « Nous en sommes à l’étape de la prise de conscience, pense G. Duthé. Tout reste encore à faire pour mettre en place des politiques volontaristes afin d’empêcher l’avortement de fœtus féminins et promouvoir l’égalité des genres. » Suite à un signalement européen en 2011, l’Arménie aurait diligenté des enquêtes de terrain, mais les autres pays qui peinent à sortir la tête de l’eau d’un point de vue économique n’ont pas encore traité la question. Il faut dire que ses conséquences ne sont pas aussi visibles qu’on pourrait le croire.
Les chercheurs soulignent que les conséquences démographiques et sociologiques de la préférence pour les garçons dans ces petits pays n’ont rien à voir avec le phénomène asiatique, qui porte au total sur 2,5 milliards d’individus. Les pays cités représentant un ensemble de 23 millions de personnes. Le manque de filles y est d’autant plus discret qu’il se trouve compensé par le nombre de migrations de jeunes hommes adultes vers les pays étrangers. Le déséquilibre du sex ratio en Europe orientale reflète néanmoins un problème de fond, une question de société qui se traduit forcément dans les rapports hommes-femmes et dans le traitement de la différence sexuelle au quotidien.