Anne–Cécile Ladegaillerie : Bien sûr. En effet, d’une posture purement descendante où les marques s’adressaient à leurs consommateurs sans que ces derniers ne puissent répondre directement, ni même dans certains cas, échapper à l’exposition aux messages, le digital a inversé la tendance et permis l’empowerment des consommateurs, qui se sont mis à répondre aux marques, à donner leur avis sur elles, sans qu’on les ait sollicités et sans que les marques au début sachent comment traiter ces points de vue.
Le développement des réseaux sociaux, et notamment de Facebook et Twitter permet désormais à tout un chacun de donner son point de vue sur une marque, un service, un produit. Avec un seul commentaire fort, on peut détruire ou renforcer la réputation d’une marque. Forcément les marques ne peuvent plus parler de la même manière. Celles qui ont compris qu’elles validaient leur existence aussi en fonction du nombre de « like » sur leur page Facebook, ont établi des relations différentes fondées sur une posture d’échange.
A.-C. L. : Oui d’une certaine façon le brand content découle de cette nouvelle donne. Pour être « liké », il faut créer des liens et cela passe par le fait de raconter une / des histoires. Le terme de brand content est devenu un mot-valise dans lequel on fait rentrer tout y compris des choses qui sont en réalité soit de la publicité, soit de la promotion, mais au-delà de ce débat sémantique et de catégorie, l’enjeu bien réel pour la marque est de devenir l’éditrice de sa propre histoire sur une variété de supports.
A.-C. L. : La question n’est pas uniquement celle de la réceptivité mais celle de la réciprocité possible : le digital permet l’échange, la réciprocité dans la communication, comme aucun autre media ou support aujourd’hui. Ce que le brand content digital apporte en plus, c’est l’interactivité : on peut jouer, passer du temps et installer une connivence avec la marque, comme dans la chasse au chocolat imaginée par Magnum et présentée dans l’étude.
A.-C. L. : Comme vous le faites très justement remarquer le terme de brand content est utilisé par les professionnels de la communication. Les internautes ne sont pas forcément familiers du concept. Il est donc intéressant de se concentrer sur l’intérêt de cet outil pour le consommateur final de son point de vue à lui. Et là encore de reposer les objectifs pour la marque. Les contenus de nature informative sont là pour délivrer des conseils et permettre aux consommateurs de se repérer dans les offres de marque, voire de bénéficier de promotions. On est dans ce cas dans un registre que les consommateurs jugent utile majoritairement. Je les différencierais des contenus dont l’objectif est de créer du lien avec les audiences tout en nourrissant la plateforme de marque, ce que Red Bull, cité dans votre étude a très bien su faire par exemple. Dans ce second cas les consommateurs deviennent des audiences et il faut les interroger non pas sur l’utilité perçue pour eux mais pour le plaisir de spectateur qu’ils ont à les consommer. Sur la question spécifique de savoir si une marque peut devenir un media, il me semble qu’on assiste depuis quelques temps déjà à une double mouvement : les marques cherchent à devenir des medias là où les medias cherchent eux à se construire comme des marques fortes. Après, à chacun son métier.
De mon point de vue, plus que des media, les marques peuvent surtout devenir éditrices de leur propre histoire. Et construire leur légende, en ligne comme dans le monde réel, à la rencontre de leurs consommateurs. J’ajouterais aussi que le fait de créer une audience forte sur un sujet ne suffit pas à transformer l’émetteur miraculeusement en media : pour prendre un exemple, je dirais que la marque Tippex qui a réussi à développer un best case avec sa saga en ligne de l’ours vue et partagée par des millions d’internautes dans le monde entier, n’est pas pour autant devenue un media.
A.-C. L. : Un brand content réussi est déjà celui qui est en ligne avec la plateforme de communication de la marque, et non pas la base d’une stratégie de communication bis. Il faut une idée forte qui fasse écho à un insight consommateur. Enfin je pense que l’enjeu en conception est d’arriver à développer des écritures réellement transmedia pour maximiser l’expérience des consommateurs-spectateurs.
Un cas tout à fait exceptionnel qui illustre bien ce point est le dispositif « Le dernier Carré », conçu pour Milka par Buzzman et qui permet de faire l’expérience de la plateforme de communication de la marque « la Tendresse » de manière très forte, en plaçant le produit au cœur même du dispositif, et avec une écriture de l’histoire à la fois, industrielle, télévisuelle, digitale et en magasin. Au fond il s’agit de trouver sans cesse de nouvelles écritures pour les marques car elles n’ont jamais eu tant besoin de raconter leur histoire.
*D’après une étude de l’institut Polling Vox et de l’agence Treize Articles, pour l’Observatoire Orange-Terrafemina. Étude quantitative menée en ligne auprès d’un échantillon de 1002 personnes représentatif de la population française, les 6 et 7 novembre 2013. Étude qualitative réalisée par le Web Lab de Treize articles auprès de 20 internautes de Terrafemina.com en octobre 2013.