La scène est édifiante. Le 30 mai, dans un quartier populaire du sud de São Paulo, un policier arrête une femme noire. Pour l'immobiliser, il la plaque face contre terre, et pose un pied sur sa nuque. Elle, tente de se débattre. Au bout de quelques secondes, il lève son pied au sol, pour faire peser tout son poids sur le cou de la Brésilienne. "Plus je me débattais, plus il appuyait sur mon cou", raconte-t-elle, le visage flouté, lors d'une interview dans l'émission Fantastico de la chaîne TV Globo qui a diffusé pour la première fois ces images dimanche dernier, rapporte l'AFP.
L'interpellée confie les circonstances qui ont précédé son arrestation : elle aurait tenté d'empêcher les forces de l'ordre de brutaliser son collègue. Elle dénonce aussi les violences qui n'ont pas été filmées. "Je lui ai dit d'arrêter, il m'a poussée contre la grille du bar, m'a donné trois coups de poing, m'a fait tomber et m'a cassé la jambe", poursuit-elle. "Après, il a mis un genou contre mon cou et un autre sur mes côtes. Je me suis évanouie quatre fois".
Un récit qui suscite l'indignation, justifiée, d'une partie de la population. Sur Twitter, un internaute a partagé les images, qu'il commente sous forme d'appel à la révolte : "Un flic a marché sur le cou d'une femme noire de 51 ans ! Allez, parlez, faites quelque chose ! Ne laissez pas cela être juste une vidéo/un poste. Il ne peut plus y avoir de place pour cela (les violences policières et racistes, ndlr) dans ce pays !"
Du côté du gouvernement d'Etat aussi, l'événement pousse à la prise de parole. "Les scènes montrées par l'émission Fantastico sont répugnantes", a lancé sur le réseau social le gouverneur de la ville João Doria, peu après la diffusion du reportage. "Cette conduite violente de certains policiers est inacceptable". L'Agence France Presse annonce également que les "policiers militaires", tels qu'ils sont qualifiés par João Doria, ont été suspendus de leurs fonctions et qu'une enquête a été ouverte par la justice locale.
Une décision qui suit l'engagement de São Paulo de lutter contre les violences policières, notamment grâce à la mise en place d'un programme de formation visant à éradiquer les traitements brutaux et inhumains des forces de l'ordre. Malheureusement, les résultats ne sont pas encore visibles. Et la police brésilienne reste, aujourd'hui encore, la plus meurtrière au monde.
Entre 2015 et 2019, ce sont 25 000 personnes qui sont mortes aux mains des unités locales, énonce RFI. Des victimes très majoritairement noires, jeunes, pauvres, et de sexe masculin. Alors que l'assassinat de George Floyd a déclenché, comme en France, une mobilisation massive contre le racisme systémique, les militant·e·s rassemblé·e·s début juin devant le palais du gouverneur de Rio de Janeiro, dénoncent auprès du média français : "la police tue des Noirs tous les jours".
Pour Humberto Adami, président de la commission de la vérité sur l'esclavage au sein de l'Ordre des avocats brésiliens, ces crimes sont encore plus répandus qu'aux Etats-Unis. "La police brésilienne tue, et tue beaucoup", s'insurge-t-il. "Elle tue beaucoup plus que la police américaine. Si on prend seulement la ville de Rio de Janeiro, en un mois, la police brésilienne tue plus que la police américaine en un an. Et le plus souvent, ce sont des Noirs qui sont tués. C'est incroyable comme ce qu'on appelle des 'balles perdues','trouvent' en fait le corps de ces personnes."
Il l'affirme : pour résoudre ce fléau, il faut commencer par l'adresser. Et ce, dans toutes les strates de la société. "La façon dont les médias brésiliens traitent de ces épisodes de racisme au Brésil fait en réalité partie du racisme qui structure la société brésilienne", poursuit l'expert. "Puisqu'il se cache en permanence, il est nié, on dit qu'il n'existe pas. C'est beaucoup plus difficile de combattre quelque chose dont on nie l'existence en permanence."
En avril 2020, en pleine quarantaine, 119 personnes ont été tuées par la police paulista. Un record tragique, relève Radio France internationale.