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"Cheyenne et Lola", la série féministe et engagée qui bouscule la création française
Publié le 30 novembre 2020 à 19:53
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Imaginée commme un western féminin au pays de la mouise, portée par des héroïnes aussi badass qu'attachantes, la nouvelle série française "Cheyenne et Lola" détonne. Nous avons discuté de cette création girl power et politique avec la showrunneuse Virginie Brac.
La série "Cheyenne et Lola" La série "Cheyenne et Lola"© OCS
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Cheyenne et Lola. Deux noms de femmes qui claquent pour une série made in France ambitieuse et pour le moins culottée. Car mettre en vedette deux héroïnes aux caractères bien trempés, voilà de quoi bousculer le paysage sériel hexagonal encore largement centré autour de protagonistes masculins. Si la référence à Thelma et Louise s'accole un peu machinalement à cette création originale OCS, c'est pourtant au western que se réfère la showrunneuse Virginie Brac (Engrenages, Tropiques amers), également autrice de polars.

Elle plante son décor en Picardie, dans un Dunkerque transformé ville-fantôme où se croisent, au détour d'une friche ou d'un bar miteux, gueules cassées, truands et petites mains précaires. Au coeur de ce territoire industriel qui suinte la misère, on retrouve Cheyenne, la dure à cuire aux cheveux ras et au grand coeur, ex-taularde taiseuse (magnifique Veerle Baetens) qui gagne sa croûte en faisant des ménages sur des ferries. Sa vie basculera lorsqu'elle rencontrera autour d'un cadavre trop encombrant la cartoonesque Lola (Charlotte Le Bon parfaite en fausse tête de linotte), aussi zinzin et évanescente que Cheyenne est mutique et sauvage. Au royaume de la débrouille, cet improbable binôme cabossé par la vie va s'allier pour déjouer les plans des caïds, flics, patrons, ex-maris et amants. Et organiser une drôle de chaîne de solidarité pour aider des exilé·e·s en partance pour l'Angleterre.

La réussite de ce Cheyenne et Lola ? Faire jaillir de l'espoir et de la drôlerie de son terreau (très) noir. Grâce à l'humanité et à la sororité qui s'imposent lorsqu'on baigne dans la mouise. Et par la force de ce tandem badass terriblement attachant, qui se dresse face aux mecs.

Nous avons papoté avec la créatrice de Cheyenne et Lola, Virginie Brac, de ses inspirations, de son engagement et de la difficulté à monter un projet porté par des femmes.

Terrafemina : Comment est née cette histoire de Cheyenne et Lola ?

Virginie Brac : Ce type de série ne naît pas du jour au lendemain. Quand on est autrice ou auteur, on fait une sauce avec plein d'ingrédients... Dans mon cas, j'avais vu le film Frozen River de Courtney Hunt (2008), que j'ai adoré et qui m'a beaucoup marquée. C'est l'histoire d'un passage de migrants au Canada sur une rivière gelée. C'est très beau, mais très triste. Et je ne voulais pas faire quelque chose de sinistre. Pour faire court, j'ai une profonde admiration pour Ken Loach, mais je ne voulais surtout pas faire une série sociale "à la Ken Loach". En un film, cela me déprime déjà totalement, alors en série...

Parmi mes sources d'inspiration, il y a aussi la série Breaking Bad. Je voulais créer ce genre de rythme : une catastrophe entraîne une catastrophe, puis un succès, puis une catastrophe, etc... Avec deux personnages que tout oppose. Il faut donner du rythme, donner envie aux spectateurs de revenir. S'ils reviennent pas, c'est que vous avez raté votre coup.

Et enfin, j'ai lu le livre de Florence Aubenas, Le Quai de Ouistreham (2010), une enquête sur les personnes les plus démunies. C'est un bouquin qui m'a marquée.

Cette série évoque sur bien des aspects le genre du western. Est-ce comme cela que vous avez conçu cette série ?

V.B. : Oui, j'aime beaucoup l'esthétique du western et j'ai eu la chance de tomber sur ce réalisateur flamand qui s'est emparé des scénarios et a créé cet univers magnifique et très particulier.

Il y a ce port de Dunkerque, tous ces problèmes du trafic des migrants, mais aussi la beauté de la côte. Je voulais provoquer ce paradoxe-là. Nous voulions créer de la beauté, de la solidarité, de l'humour, des choses incongrues. Et c'était très important pour moi que les deux héroïnes soient très belles. Mon histoire était tellement tragique qu'il fallait qu'elle soit portée par des "gueules", des personnages très forts.

La série OCS "Cheyenne et Lola" © OCS
On a parlé de "Thelma et Louise du Nord". Est-ce l'une de vos références ?

V.B. : J'aime beaucoup ce film, mais ma principale source d'inspiration reste Frozen River. Ce qui était primordial, c'était de parler de l'amitié entre deux femmes qui va se construire dans l'adversité, qui va être difficile, très passionnée et passionnelle. C'est ça que j'ai aimé dans Thelma et Louise et que c'est ce que le public retient du film : ces deux femmes solaires qui embarquent pour un roadtrip transgressif. On en oublie d'ailleurs que cela se finit mal. J'ai gardé ça pour Cheyenne et Lola.

Comment avez-vous façonné ces deux personnages si antagonistes ?

V.B. : Lola est un véritable personnage de film noir des années 40. La blonde qui a l'air de la ravissante idiote mais se révèle hyper vénéneuse. Elle détonne totalement dans ce milieu, déploie tous les codes de la "bimbo", mais est d'une intelligence extrême et qui souffre d'un véritable vide affectif. J'ai voulu lui donner une véritable épaisseur. Cheyenne est la seule personne à laquelle elle arrive à s'attacher. D'où l'importance que prend Cheyenne dans sa vie.

Cheyenne, au contraire, est une femme forte qui s'est construite sur le mythe du "Je n'ai besoin de personne". Sauf que ça n'existe pas, ça ! Et d'ailleurs, elle va reconnaître progressivement qu'elle a besoin de Lola. Car Lola fait avancer sa vie, en dépit de toutes les catastrophes qu'elle crée.

En choisissant d'ancrer votre série dans cette actualité du trafic des exilé·e·s, en abordant l'exploitation des femmes de ménage, peut-on parler de série politique ?

V.B. : Oui, il y a un fond d'engagement à la fois féministe, mais également dans la volonté de montrer les "invisibles", ces personnes qu'on ne voit pas, qu'on exploite, qu'on piétine. Et juste en-dessous de ces personnes, il y a les migrants. Un nouveau barreau au bas de l'échelle... J'avais envie de le montrer, d'en parler, sans emmerder les gens. Parce que ça existe.

La crise sanitaire redonne de la visibilité à ces habituelles figures de l'ombre. Vous leur redonnez le pouvoir en quelque sorte.

V.B. : Oui, parce qu'elles sont intelligentes et solidaires. Elles survivent et arrivent à se venger de leur principal oppresseur. Et cela sans armes, juste grâce à leur courage et leur esprit retors.

Il y a un vrai sujet sur cette question, car notre société sous-traite la propreté à des gens qu'elle ne veut pas voir. Et avec la pandémie, la propreté est primordiale. Donc si leur visibilité peut conduire à un peu plus de respect et à un meilleur tarif-horaire, tant mieux.

A-t-il été compliqué de "vendre" ce projet de série dont les femmes sont les personnages principaux ?

V.B. : En France, quand vous présentez une série avec des femmes au centre, on ne peut pas dire que vous soyez accueillie à bras ouverts... Cela n'intéresse personne ! Vous avez beau être une autrice connue, qui a eu des succès dans sa carrière, ça ne sert à rien. C'est comme si vous n'aviez rien fait. Notre productrice s'est battue, elle n'a pas lâché- et je lui rends hommage. On avançait pourtant notre vision en assurant que la série ne serait pas triste, qu'elle aurait du peps, qu'elle serait belle. Mais on ne nous croyait pas. Le milieu de la création est difficile en France.

Pourquoi ne pas avoir choisi une femme pour réaliser cette série ?

V.B. : L'actrice Veerle Baetens (Cheyenne) est Flamande et c'est elle qui nous a amené·e·s vers le réalisateur flamand Eshref Reybrouck. Nous avons vu sa série Undercover et on a trouvé ce mélange de drôlerie, de truculence et de drame que l'on cherchait. Il s'est imposé à nous.

Un projet créé par une femme et centré sur des personnages féminins, serait-ce finalement un acte "militant" à l'heure actuelle ?

V.B. : Oui, même si nous ne l'avons pas fait pour "militer". Nous l'avons créé parce qu'on y croyait, qu'on pensait que cela pouvait toucher le public. Et surtout, que cela change par rapport aux séries que l'on voit habituellement, pour "diversifier l'offre". Cheyenne et Lola est une série féministe ne serait-ce que parce qu'elle met en scène des femmes dans quasiment toutes les scènes. Il y a des personnages masculins, mais ce sont plutôt des faire-valoir, un peu comme dans Orange Is the New Black. Et ça, ça change !

Cheyenne et Lola

Une série de Virginie Brac

Avec Veerle Baetens, Charlotte Le Bon...

Diffusion sur OCS depuis le 24 novembre 2020

10 épisodes

Mots clés
series Culture feminisme television News essentielles interview Femmes engagées
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