L'autre jour, j'ai fondu en larmes devant une vidéo de gens qui se prenaient dans les bras. Une compile comme il en existe plein, en ligne, de scènes de films où les gens se câlinent. La musique (italienne) était mélancolique, je me suis laissée emporter par l'émotion. Et puis, mon mec s'est foutu de moi pendant cinq minutes. Je ne lui en veux pas, en ce moment, je pleure pour tout et n'importe quoi. Raison légitime ou pas. Un reportage sur la SPA : je pleure. Le Tombeau des lucioles (oui, bon, je cherche) : je pleure. Ma fille me sourit : je pleure. Plus de mimolette : je pleure. Autant vous dire qu'il ne me prend plus vraiment au sérieux. Et qu'il a raison.
Seulement à force de renifler dans mon canapé comme une âme en peine et de m'essuyer le nez avec les doigts (pas très geste barrière-friendly de ma part, je l'avoue, mais je me lave les mains), je me suis demandé si ce réflexe lacrymal avait toujours fait partie de moi, ou si la situation exceptionnelle l'exacerbait. Suis-je de manière générale une grosse pleurnicharde, ou est-ce principalement la faute au confinement, si je chiale tous les quarts d'heure ?
En faisant quelques recherches, j'ai vite remarqué que mon cas était loin d'être isolé. Sur les réseaux sociaux, du côté de mes proches, tout le monde a l'air de verser sa larme plus facilement qu'auparavant. Et les grandes eaux se déclenchent aussi de façon tout à fait aléatoire, leur intensité ne respectant aucune règle de proportionnalité par rapport à la gravité des événements qui les provoquent.
Alors bien sûr, le motif pourrait sembler évident : si on pleure, c'est à cause de la crise sanitaire, du climat anxiogène qui en incombe, de l'absence de nos proches et du manque de la vie "normale", qui chamboulent notre bien-être. Ce serait logique. Sauf que nos élans de tristesse ont l'air plutôt liés à des événements mineurs. Pas de souci de santé à déclarer, pas de sentiment de détresse lié à la solitude. Rien de réellement dramatique en somme, surtout comparé à ce que vivent les familles endeuillées, les personnes malades, leur entourage ou les soignant·e·s. On a la chance de n'avoir qu'à respecter les mesures de sécurité, à rester bien sagement chez nous et à attendre.
Mais à en croire une experte, l'insignifiance présumée de ces petites causes est justement la raison pour laquelle on finit en larmes. Car souvent, les chocs plus conséquents nous laissent sans voix.
"Un stress mineur est lié à des pleurs plus fréquents", explique Lisa Brateman, psychothérapeute et spécialiste des relations humaines new-yorkaise, à Vogue US, ajoutant que la crainte, même légèrement accentuée, peut créer ce besoin de pleurer. Et pour le meilleur. "Cela peut réduire l'accumulation d'émotions qui semblent difficiles à gérer. Souvent, les mots ne sont pas disponibles dans ces moments-là, et pleurer est un chemin différent vers la libération pour exprimer ce que les paroles ne peuvent pas."
Pleurer pour des petites choses, en apparence, revient donc à se soulager de plus gros maux, enfouis consciemment ou non. Une peur de l'avenir, une perte de contrôle inquiétante, un atmosphère qui nous terrifie. Ou simplement une envie d'être rassurer qu'on a du mal à combler.
Se laisser aller n'a rien d'inquiétant donc, et surtout, cela peut faire un bien fou. Une étude publiée dans le journal américain Frontiers in Psychology a d'ailleurs remarqué que pleurer est un moyen "d'améliorer sa propre humeur", et nous apaise. Cependant, les auteurs notent que le contexte social et l'importance qu'on y attache peuvent influer sur la portée bénéfique de ces sanglots passagers. "Les effets apaisants des pleurs peuvent être exclus si la personne qui les expérimente les juge inappropriés dans un contexte social donné ou en général", observent-ils. Plus on se soucie de ce que pensent les autres, moins on en ressent des conséquences positives, en gros. Et en plein confinement, à l'heure où la distanciation sociale règne, plus rien ne nous retient d'accepter ces vagues - littéralement - d'émotions.
On laisse couler nos larmes sans retenue, comme pour se décharger de tracas qu'on ne sait pas comment évacuer autrement. Finalement, nos pleurs sont sûrement, d'une façon ou d'une autre, liés à cette période incertaine qui pèse sur nos épaules plus que ce qu'on imagine. Ou alors, on se sent plus libre d'accepter nos sentiments à l'abri des regards. Ce qui est sûr, c'est que toutes ces émotions sont légitimes, et qu'en réussissant à les faire sortir de la sorte, on apprend aussi à mieux les gérer, petit à petit. Et à se décharger d'angoisses qui finiraient pas nous nuire.
Plutôt que d'essuyer nos joues à la va-vite, on se dit que ça passera, et on relance cette foutue vidéo d'embrassades. Mouchoir à la main, cette fois.