Réformé en 2004, le divorce par consentement mutuel est de nouveau dans le viseur du ministère de la Justice. Un rapport demandé par la Garde des sceaux, Christiane Taubira, et piloté par Pierre Delmas-Goyon, conseiller à la Cour de la cassation, préconise de « transférer au greffier juridictionnel le divorce par consentement mutuel ». La nouvelle compétence, jusqu'ici dévolue au juge, permettrait ainsi aux greffiers de prononcer le divorce « sans qu'il y ait lieu de distinguer en fonction de la présence d'enfants ou de la consistance du patrimoine », précise le rapport.
Objectif de cette proposition : apporter une réponse à l'engorgement des tribunaux, en agissant sur un dossier qui « représente plus de la moitié des divorces prononcés en France », précise Le Figaro qui rapporte l'information ce vendredi 3 janvier. En effet, la procédure de divorce par consentement mutuel « représentait 54 % des 128 371 divorces en 2012 en France », affirme le quotidien.
Mais mettre en oeuvre une telle révolution des compétences des greffiers implique de disposer de garde-fous que le rapport détaille. Le document proposé par Pierre Delmas-Goyon (disponible en fin d'article) explique que « le choix d'une procédure non contentieuse répond dans nombre de cas à la préoccupation [pour les époux] de trouver un compromis acceptable à court terme, moins onéreux et plus rapide, sans qu'aient été réellement recherchées des solutions aux problèmes de fond posés par la séparation ».
Partant de ce constant, le rapport estime qu'« il faut s'assurer que l'accord obtenu est équilibré, qu'il préserve les intérêts de chacun et n'est pas la conséquence de l'abus d'une position dominante. Il faut aussi vérifier que le choix de la procédure du divorce par consentement mutuel est réfléchi et qu'il traduit une véritable volonté de rechercher une solution amiable aux conséquences personnelles, parentales et patrimoniales du divorce ». Des précautions nécessaires mais qui ne semblent pas suffisantes aux yeux des principaux acteurs de la machine judiciaire.
En effet, si le rapport doit être présenté à la ministre de la Justice les 10 et 11 janvier prochain, à l'occasion d'un colloque sur la justice du XXIe siècle à l'Unesco, le projet n'en suscite pas moins les inquiétudes des avocats spécialistes en droit de la famille et de certains magistrats. Selon eux, une telle disparition du juge « risquerait de fragiliser l'accord entre les ex-époux ».
Même son de cloche du côté du Syndicat de la Magistature qui estime qu'« on ne peut pas enlever des compétences au juge sans autre considération ». Interrogée par Terrafemina, la présidente du syndicat professionnel, Françoise Martres, parle d'« un marché de dupes qui consiste à dire que le juge, ne pouvant pas tout faire, peut confier un certain nombre de taches au greffier. Or la situation des greffes est épouvantable ! Il y a des vacances de poste partout. Leur donner des missions supplémentaires oui, mais à quelle condition ? Avec quel statut ? Avec quels moyens ? ».
Et la présidente d'inviter à se poser la question de « l'intérêt pour le justiciable ». « Le vrai problème est celui de la qualité du service public. Le divorce doit-il toujours relever de la justice ? », s'interroge-t-elle, rappelant la position du syndicat de la magistrature pour qui la rupture du lien conjugal ne doit pas obligatoirement impliquer un juge : « Le syndicat a déjà proposé qu'à partir du moment où ils se marient devant un officier d'état civil, les époux devraient pouvoir se démarier devant ce même officier d'état civil ».
Le rapport demandé par la Garde des Sceaux n'est pourtant pas une nouveauté. « En décembre 2007, cette idée [du divorce sans juge] faisait partie des 100 réformes voulues par Nicolas Sarkozy pour "réformer l'Etat" », rappelle le Lab d'Europe 1. Une proposition mise en échec cette même année puis de nouveau en 2011. Michèle Alliot–Marie, alors ministre de la Justice, avait présenté un projet de loi visant à simplifier la procédure de divorce par consentement mutuel pour les couples n’ayant pas d’enfant mineur. Les sénateurs avaient alors balayé l'idée d'un divorce sans juge.
Le rapport de Pierre Delmas-Goyon demandé par Christiane Taubira. Cas du divorce par consentement mutuel sans juge en p.108 :
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