La droite réactionnaire peut se frotter les mains : elle s'est dégotée un bien joli visage et une plume mordante. Eugénie Bastié, 24 ans, journaliste au Figaro.fr après être passée chez Causeur, rédactrice en chef de la revue Limite, qui est née dans le sillage de la Manif pour Tous et se proclame "catho et écolo", fait parler d'elle avec son pamphlet antiféministe Adieu Mademoiselle - La défaite des femmes, paru aux éditions Le Cerf début avril. Celle qui a été couronnée "mousquetaire Bastié" par son confrère David Desgouilles dans Causeur est diplômée de Sciences Po Paris et également titulaire d'une licence de philosophe. Au lieu de l'ENA, - remplie selon elle de "petits technocrates sans âme" (Rue 89) - Eugénie Bastié se lance dans un stage de 6 mois de au FigaroVox avant d'être embauchée au Figaro.fr grâce à Alexis Brézet, directeur des rédactions du Figaro, car selon le reportage de Rue 89 intitulé "FigaroVox: rech. jeune plume qui vomit son époque" , "elle et ses filles seraient du même cercle" (ce qu'elle nie évidemment).
Elle fait parler d'elle pour la première fois grâce à une apparition télé remarquée en septembre 2015 sur le plateau de Frédéric Taddeï dans "Ce soir ou jamais!" sur France 2 : lors d'un débat sur l'immigration, elle s'oppose à Jacques Attali en lui assénant dans un petit sourire satisfait que "le vieux monde est de retour". On découvre le "petit côté chipie" que sa marraine dans le journalisme, Natacha Polony, confessait adorer devant la caméra du Supplément de Canal + le 17 avril 2016 : d'autres en sont moins friands, au vue de l'agression à la tarte à la crème qui a interrompu l'enregistrement de l'émission "Flash Talk" diffusée sur LCP et France Ô avec Rokhaya Diallo et Caroline De Haas. Entartée à 24 ans par des militantes LGBT : ce qui est sûr, c'est que cette jeune journaliste ne laisse personne indifférent.
Et pour cause : si l'on devait la définir en un mot, on choisirait celui qu'elle emploie le plus pour se qualifier elle-même : "anti". Eugénie Bastié est anti-capitalisme, anti-libéralisme, anti-avortement, anti-mariage gay, et bien sûr, anti- féministe. Elle a beau refuser d'être classée parmi les réacs de droite avec la triade infernale Buisson/ Zemmour/Villiers, cette jeune femme "en croisade contre le monde moderne" d'après l'article que les Inrocks lui ont consacré , est tout de même surnommée "la petite Zemmour, mais en pire" par Attali depuis leur rencontre. Peu importe les rebuffades de Mlle Bastié qui éconduit d'un sempiternel "Je n'aime pas cette question" tous les journalistes qui l'interrogent sur sa place sur l'échiquier politique (trois fois dans la vidéo du Supplément de Canal + qui lui est consacrée) : depuis son passage au FigaroVox, le ton était donné. Rue89 a en effet consacré un long dossier à ce média d'opinion très marqué réac qui est la "plateforme de la droite dure du Figaro" où l'on peut "lire le FN dans le texte ou lier islam et Daech".
Eugénie Bastié est un ovni politique qui retweete à tour de bras des citations de Charles Péguy et achève son livre en citant du Booba. Et ce n'est pas son jeune âge et son air candide qui nous feront sous-estimer son redoutable potentiel de séduction : elle est jeune, douée pour manier les mots, très catholique (sa tante déclare aux caméras de Canal + qu'elle vient d'une "famille française très croyante, très solide") ce qui la pousse à condamner la GPA mais à réclamer un accueil charitable et humain des migrants, et puis surtout, grande gueule, ce qui ne nuit jamais quand on veut faire parler de soi. Elle se tient pour le moment éloignée de la politique, mais investit avec ardeur au champ de la culture, et plus particulièrement, la place des femmes dans la culture.
Dans son livre, Eugénie Bastié s'attaque au néo-féminisme, sans jamais se risquer à le définir précisément pour autant, comme le lui reproche Marie Kirschen dans son hilarante critique d'Adieu Mademoiselle pour Buzzfeed. La théorie de Bastié est que ces nouvelles féministes sont "homosexualistes", c'est-à-dire que leur but ultime est de gommer toute différence entre les sexes, de vouloir faire d'une femme un homme comme les autres en niant la notion même de genre. Et que leur combat nuirait gravement à la cause de la femme, à l'image du serpent qui finit par se mordre la queue en cherchant la petite bête. Elle explique dans son livre que "les nouvelles ayatollettes entendent poursuivre sans fin le combat, et lutter sans relâche pour un monde déjà advenu. Quitte, pour exister, à promouvoir les pires cauchemars d'Orwell". Les colloques "queer et drag", "l'utérus articifiel que nous mijote la Silicon Valley" dont elle parle avec répugnance dans une interview pour Atlantico, le corps de la femme et la maternité maîtrisés par la technique : en bonne réactionnaire, voilà les véritables ennemis d'Eugénie Bastié.
Mais dans sa lutte contre la modernité, elle nuit aux femmes, en les faisant passer pour des mégères pinaillant pour obtenir plus que leur part du gâteau. Or, les "ayatollettes" sanguinaires qui "lutt[ent] sans relâche pour un monde déjà advenu", ce sont les femmes qui se battent pour l'égalité salariale, la destruction du plafond de verre, la fin du harcèlement sexuel, un meilleur partage des tâches, des congés de paternité... Parce que comme le rappelle le site Zéro Cliché, une égalité de droits ne signifie pas une égalité de fait ; et c'est cette égalité de fait que les féministes cherchent à atteindre et Eugénie Bastié à enterrer. La preuve en 9 phrases.
Revenir en arrière pour régler les problèmes, ça ne marche que dans Retour vers le Futur.
Rendre l'avortement légal et accessible ne revient pas à en faire la promotion, pas plus que de supprimer le délai de réflexion auquel s'attaque avec virulence Eugénie Bastié dans son livre (les sept jours de "réflexion" imposés à une femme entre les deux consultations médicales obligatoires avant l'IVG) qui ralentissait les démarches médicales et "infantilisait" les femmes en remettant en question leur capacité à décider, comme le rappelle la ministre de la santé Marisol Touraine au Figaro.fr : "Une femme qui a pris sa décision n'a pas besoin de réfléchir" .
Mais bien évidemment, on peut traiter de criminelles les femmes qui avortent en prétendant ne pas les juger, par souci de politiquement correct.
La réplique est formidable: lapidaire, bien trouvée... et absurde. On en rirait presque.
Après Musset et Booba, Bastié dresse une analogie bancale entre le voile et le rouge à lèvres, deux symboles à la signification radicalement opposés : l'un veut dissimuler le corps de la femme, objet de honte qui doit être soustrait aux yeux des hommes, alors que l'autre n'a pour vocation que de le mettre en valeur, de le donner à voir. Mais comme le souligne Les Inrocks, Eugénie Bastié n'en est "pas à une contradiction près".
Ou une jolie tentative pour s'inscrire dans la lignée des moralistes à la Rochefoucauld.
Il fallait nous prévenir qu'on devrait sacrifier la cause des femmes pour fournir un joli sujet à nos écrivains.
Ou comment véhiculer éhontément l'éternel stéréotype de la féministe hystérique et incohérente. Mais même les clichés les plus coriaces finissent par perdre en puissance, à force.
Visiblement, c'est un classique des femmes réacs, le féminisme d'apparat : tout comme Marine Le Pen avant elle, Eugénie Bastié récupère Simone de Beauvoir pour adoucir le goût amer que laisse son pamphlet violemment antiféministe. Claire Serre-Combe, porte-parole du mouvement Osez le féminisme, avait expliqué à l'Express en janvier 2016 pourquoi féminisme et radicalisme d'extrême-droite était antinomique : on vous laisse jeter un coup d'oeil afin que Simone de Beauvoir puisse se retourner en paix dans sa tombe.