Selon le rapport de février 2016 de l'Organisation Mondiale de la Santé paru le lundi 16 mai 2016, 200 millions de femmes et de fillettes doivent vivre actuellement en ayant subi des mutilations génitales. Du fait des flots migratoires, un nombre de plus en plus important d'immigrantes victimes de mutilations ou de jeunes filles nées dans des familles où cette coutume se perpétue vivent désormais en Occident, affirme l'OMS. Une étude du Population Reference Bureau a estimé qu'en 2015, près de 507 000 femmes et enfants vivant aux Etats-Unis risquaient l'excision. En Grande-Bretagne, ce chiffre grimpe à 66 000, soit deux fois plus qu'en 2000. Une urgence sanitaire que le corps de santé occidental peine à gérer.
Toujours est-il que les flux migratoires ont rebattu les cartes, et que des pays développés ou en développement se retrouvent aujourd'hui confrontés à un phénomène qu'ils connaissent peu –et donc qu'ils traitent mal. Le nouveau guide édité par l'OMS a pour but de sensibiliser le corps médical de ces pays à ces mutilations afin de les aider à mieux soigner les patientes qui en souffrent.
Les directives officielles de l'organisation distinguent quatre types de mutilations sexuelles féminines : la mutilation du clitoris, l'excision, c'est-à-dire l'ablation du clitoris et des petites lèvres, l'infibulation, qui consiste à recouvrir l'orifice vaginal en excisant et suturant les lèvres extérieures, et enfin, la mutilation des organes génitaux par percement ou cautérisation. Les médecins occidentaux qui se retrouvent confrontées aux victimes de ces pratiques ne connaissent pas suffisamment les problèmes qui y sont liés. Car le calvaire des victimes va bien au-delà du moment de la mutilation en elle-même : après les risques immédiats (hémorragie, septicémie, mort), les femmes mutilées peuvent souffrir de problèmes récurrents et graves : infections urinaires à répétition, règles très douloureuses, dysfonctionnements sexuels, douleur chronique, stress post-traumatique, dépression... Et c'est sans compter les complications majeures lors d'une grossesse ou d'un accouchement.
Or, face à une victime de mutilations sexuelles féminines, "certains docteurs ne savent même pas ce qu'ils voient", a commenté lundi à l'AFP le Dr Doris Chou, une spécialiste de la santé maternelle et prénatale de l'OMS. D'où l'importance cruciale de ces directives : les médecins doivent être à même de reconnaître les différentes mutilations et d'offrir à ces femmes des soins adaptés. La désinfibulation, qui consiste à sectionner le tissu cicatriciel pour rouvrir le vagin d'une femme infibulée, est particulièrement recommandée pour éviter les complications de santé et leur permettre d'avoir une vie sexuelle normale. Si la victime est enceinte, c'est une nécessité pour éviter la mort du nouveau-né, en plus des douleurs effroyables que la mère devra endurer. De même, un suivi psychologique adapté pourrait aider considérablement les femmes excisées à surmonter les cicatrices mentales laissées par l'acte de mutilation, et à retrouver leur identité.
Mais le rapport de l'OMS n'aide pas simplement les médecins occidentaux à mieux faire face à ces mutilations : il sonne également l'alarme sur l'inquiétante médicalisation de ces pratiques. Alors qu'avant, ces rites étaient réalisés clandestinement par des proches ou des soignants traditionnels, l'OMS a constaté que 18% des MSF sont désormais pratiquées par des médecins : "Nous avons observé une mondialisation du phénomène du fait des migrations, mais nous avons aussi assisté à une médicalisation de la procédure dans de nombreux pays".
Les mutilations génitales sont réalisées par un praticien bien qu'elles n'aient aucune nécessité médicale, sans doute afin de réaliser la procédure dans de bonnes conditions sanitaires et avec des techniques moins invasives pour préserver au maximum les fonctions génitales. Quoi qu'il en soit, des médecins continuent à pratiquer en Occident des excisions, que ce soit par ignorance ou par "respect" pour une forme de torture que même la religion ou la coutume peinent à justifier. Et c'est une violation absolue des droits de l'homme et de l'éthique médicale contre laquelle l'OMS a décidé de rentrer en lutte. Les militants se réjouissent de l'action de l'organisation, qui pourrait aider à diminuer l'incitation à l'excision que constitue la médicalisation de cet acte, tout en atténuant ses conséquences pour les victimes. "C'est la contribution de l'OMS à un combat contre un fléau que nous sentons que nous devons éliminer" expliquait Flavia Bustreo, sous-directrice de l'OMS au New York Times.
"Les mutilations génitales féminines, c'est l'affaire de tout le monde", ajoutait Comfort Momoh, une praticienne anglaise d'origine nigérienne, conseillère à OMS, pour The Guardian . "Les gens pensent 'Ça n'a rien à voir avec moi. C'est leur culture.' Non. C'est de la maltraitance sur des enfants. On parle de choix qui ne se font pas en connaissance de cause. On parle d'absence de consentement". Elle pratique au moins une désinfibulation par semaine, dans un pays où l'excision est punie par plus de dix années de prison : l'urgence est bien là. Et il était temps que le monde occidental apprenne à gérer ces blessures physiques et mentales qui, d'un simple coup de lame de rasoir, enferment les femmes dans un monde de douleur interminable.