Cette première apparition à l'antenne de la chaîne privée Boishakhi TV n'a pas laissé Tashnuva Anan Shishir de marbre. Juste après les trois minutes qu'ont duré son bulletin d'informations, la présentatrice de 29 ans fond en larmes sous les applaudissements et les félicitations de la rédaction.
Et pour cause, ce qu'elle vient d'accomplir ce 8 mars, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, est "une avancée historique", assure le porte-parole du réseau Julfikar Ali Manik : elle est la première femme transgenre à présenter un journal à la télévision bangladaise, après un parcours professionnel - et personnel - particulièrement difficile. Révolutionnaire.
Avant d'apparaître sur les écrans de millions de foyers, et d'incarner un symbole d'inclusion puissant, la jeune femme a connu une enfance aux traumatismes ravageurs. Elevée dans une famille musulmane conservatrice sur la côte Sud du pays, elle a été constamment ridiculisée pour son comportement, que son entourage qualifiait de "trop efféminé", allant jusqu'à lui affirmer qu'elle souffrait de troubles mentaux, rapporte le New York Times dans un long portrait.
A cela, s'ajoutent de terribles expériences de harcèlement, ainsi que des agressions sexuelles. Un quotidien "tellement insupportable" qu'elle tente à quatre reprises de mettre fin à ses jours. Au magazine américain, elle confie la quête d'acceptation et d'identité qu'elle a longtemps traversé : "je suis née avec un corps d'homme, mais je correspondais à l'esprit et à l'âme d'une femme. Je devais prouver que j'existais dans la société". Elle se souvient avoir cherché sur Internet : "Y a-t-il quelqu'un comme moi ?"
Devant l'incompréhension de ses proches, elle décide de quitter son domicile pour la capitale, Dacca. "Je n'en pouvais plus des voisins qui disaient à mon père que je devais me comporter et marcher comme un homme", lance-t-elle à l'AFP. Elle y prend des cours de théâtre, commence son traitement hormonal, trouve du travail au sein d'associations et devient, en janvier, la première femme trans inscrite en maîtrise de santé publique à l'Université James P Grant de Dacca, détaille l'agence de presse.
Quelques mois plus tard, elle réalise une prestation sans précédent, qui la propulse devant des millions de ses compatriotes, mais aussi sur la scène internationale. Trois minutes qui changent radicalement sa vie, et celles de nombreux·ses autres.
Tashnuva Anan Shishir raconte avoir passé plusieurs auditions pour d'autres programmes sur d'autres chaînes, sans succès, avant d'être engagée par Boishakhi TV. La seule qui a été "assez courageuse pour me prendre à son bord", reconnaît la jeune femme. Aujourd'hui, elle a même décroché deux rôles sur le grand écran, dont l'un d'une entraineuse de foot. Une rôle-modèle est née.
Pour Kyle Knight, chercheur principal de l'organisation Human Rights Watch, qui a écrit sur la communauté transgenre au Bangladesh, "la nomination d'une personnalité publique très visible issue de cette communauté est un geste symbolique de grande importance". Il le souligne au New York Times : "Cette communauté est passée d'une situation de marginalisation et de silence à la présence d'une personne sur une chaîne de télévision et à la reconnaissance officielle du gouvernement. Il y a eu beaucoup de changements en très peu de temps. Rien que cela me donne de l'espoir".
Au Bangladesh en effet, les initiatives en faveur de la représentation des membres de la communauté LGBTQ+ se multiplient. Les personnes transgenres sont par ailleurs autorisées à s'identifier comme telles depuis 2013, et à s'enregistrer pour voter en tant que troisième genre depuis 2018. Toutefois, les discriminations restent fréquentes, puisque l'existence même des victimes considérées par beaucoup comme "contre-nature", et interdites par l'islam, religion majoritaire du pays (environ 89 % de la population totale). C'est aussi pour dénoncer ces injustices que Tashnuva Anan Shishir a gravi ces échelons. Se battre pour l'égalité, et instaurer "nouvelle dimension dans la pensée des gens".
"Il ne faut pas que les membres de la communauté [transgenre] souffrent", conclut-elle auprès de l'Agence France-Presse. "Il ne faut pas qu'ils aient une vie misérable. Il faut qu'ils puissent trouver un travail à la hauteur de leurs compétences". Des mots nécessaires qui trouvent, depuis le 8 mars, un tout nouveau public.