Coups bas, critiques à répétition, sarcasmes, humiliation, insultes, non-respect de la vie privée... Au travail, le harcèlement moral revêt diverses formes et peut s'avérer très insidieux. Il s'immisce dans toutes les relations du monde de l'entreprise et pas uniquement dans le schéma salarié/employeur.
Selon une enquête Ifop 2018, une femme sur cinq a déjà dû affronter une situation de harcèlement sexuel au cours de sa carrière. S'il s'agit de la forme la plus courante de harcèlement, d'autres modes de persécutions sévissent dans le cadre du travail : harcèlement moral, mobbing...
Bien qu'il reste minoritaire (seul 2% de femmes selon le rapport 2013 du CSEP), le phénomène du harcèlement entre femmes au travail existe également. Dans une récente étude menée par la Tech Women Day et publiée dans la revue Development and Learning in Organisations, 70% de femmes cadres racontent avoir déjà subi un harcèlement de la part de leurs collègues féminines.
Claire*, 29 ans, en a fait la douloureuse expérience pendant un an et demi. Deux mois après son entrée dans l'entreprise où elle occupe le poste d'assistante de direction, elle est amenée à travailler main dans la main avec Isabelle*, une comptable de 37 ans, elle aussi fraîchement arrivée dans l'entreprise. Pour Claire, le cauchemar commence. Elle nous livre son témoignage.
"Le premier jour, Isabelle a voulu déjeuner avec moi. J'ai accepté, je trouvais ça sympa. On s'est vite échangé nos numéros. Mais très vite, j'ai commencé à recevoir beaucoup d'appels et de textos en dehors des heures de travail. Une fois, elle m'a appelée un 1er janvier à deux heures du matin pour savoir si j'avais bien mis l'alarme au bureau.
Un jour, elle a répondu à l'un de mes statuts Facebook, dans lequel je racontais que j'étais tombée dans les escaliers au boulot un lundi et que ma semaine commençait mal. Ma mère a commenté mon post pour me demander si le mardi se passait mieux. Ma collègue s'est permise de répondre à ma mère pour lui dire que non, 'je ne m'étais pas humiliée devant mes boss aujourd'hui'.
Une autre fois, j'ai envoyé un message à Isabelle pour lui dire que mon boss m'avait fait remarquer que j'étais habillée 'comme une fille', et que je ne savais pas trop comment le prendre. Sa réponse : 'C'est un boss, sois vigilante, il y a sûrement une promotion canapé à la clé.'
Un autre jour, elle a appelé mon patron à ma place. Cette fois-là, j'ai halluciné. Ma collègue m'avait persuadée que mon boss cherchait à me remplacer. Je suis partie en week-end pas très sereine. Le dimanche, je reçois un coup de fil d'elle, qui me dit que je n'avais pas à m'inquiéter, qu'elle avait appelé mon patron et qu'il ne comptait pas me remplacer, mais qu'il était très fâché contre moi. Le lundi matin, en effet, mon supérieur m'a convoquée et je me suis fait incendier.
Isabelle contrôlait toujours ce que je faisais. Parfois, elle me refusait des factures de prestations que j'avais gérées, parce que ce n'était soi-disant 'pas conforme à la procédure.' Un de nos prestataires était [il l'est toujours] mon compagnon. Un jour, j'étais en congés, et il y avait un problème de facture avec lui. Isabelle s'est permise de lui envoyer un mail dans lequel elle lui disait : 'Je sais que vous êtes en bonne compagnie', en parlant de moi. Alors que je n'étais même pas avec lui !
Une autre fois encore, elle m'a envoyé un mail sans corps de texte. Dans l'objet, il y avait écrit : 'J'ai faim, tu peux me commander un burrito s'il te plaît ?'. Le pire, c'est que je l'ai fait.
Au bout d'un an et demi, elle a réussi à me faire virer. Elle s'est débrouillée pour faire croire à mes patrons que j'avais détourné des fonds de l'entreprise, ce qui évidemment était faux. Mais mes patrons l'ont crue. À ce moment-là, c'était en décembre dernier, je venais d'être hospitalisée pendant un mois pour burn-out.
À mon retour, j'ai appris que j'étais renvoyée. Je me suis retrouvée sur le trottoir à 10h30 avec toutes mes affaires. Heureusement, j'avais conservé des captures d'écran de tous les mails et textos qu'Isabelle m'avait envoyés. Cela m'a permis de ne pas me faire licencier et de négocier une rupture conventionnelle avec mes employeurs.
Beaucoup de collègues étaient au courant de la situation. Comme j'étais assistante de direction, tout le monde pensait qu'Isabelle se comportait comme ça avec moi parce que j'avais une place un peu 'privilégiée' où j'étais au courant de tout, contrairement à elle. Elle pensait probablement que je lui faisais de l'ombre. Pourtant, mes patrons lui passaient beaucoup de choses.
Mes collègues m'ont dit plusieurs fois d'en parler à mes supérieurs. Bêtement, je me suis dit que je ne voulais pas faire d'histoires. En dehors de ça, il y avait un environnement très familial et j'avais vraiment envie de m'investir pour faire avancer la boîte. Alors je n'ai rien dit. J'ai encaissé, jusqu'à ce que ça pète.
Avec le recul, je me rends compte que j'aurais dû en parler plus tôt. Je n'ai pas eu l'occasion de discuter avec des personnes qui ont vécu une situation similaire à la mienne, mais si j'en avais l'occasion, je leur donnerais deux conseils.
Le premier : communiquez. Parlez-en autour de vous, d'abord à vos collègues pour avoir de l'appui, puis à vos supérieur·e·s. Ce n'est pas simple, loin de là, mais c'est la meilleure solution.
Le deuxième : gardez vos distances avec vos collègues. On ne devient pas ami·e avec ses collègues au bout de trois semaines, cela prend beaucoup plus de temps. Je pense qu'il faut toujours établir une limite entre vie personnelle et vie professionnelle, du moins au début."
*Les prénoms des personnes citées ont été modifiés