"Non c'est non", "M'empoigner ne te vaudra aucun baiser" : voici deux des slogans que découvriront dès aujourd'hui sur des milliers d'autocollants distribués à la foule les spectateurs et spectatrices du Carnaval de Rio. L'événement, qui se déroule à partir d'aujourd'hui dans la deuxième ville la plus peuplée du Brésil, avait rassemblé lors son édition de 2017 plus d'un million d'amateurs de samba et de paillettes. Et aussi beaucoup de harceleurs.
Car le Carnaval de Rio, comme tous les grands rassemblements de foule – des festivals musicaux aux ferias basques – est aussi le lieu de tous les dangers pour les femmes qui y assistent. Selon les chiffres de la police militaire de Rio, 2 154 appels dénonçant des actes de violences envers des femmes ont été recensés pendant les festivités de l'an dernier. Officiellement, le Carnaval débute ce vendredi pour se terminer mercredi 14 février. Mais dans certaines villes comme Rio de Janeiro, les festivités s'étalent en réalité sur plusieurs semaines. Dans tous les quartiers de la ville, des fêtes sont organisées, durant lesquelles les beuveries sont légion. Ce qui entraîne inévitablement des débordements et, dans les cas les plus graves, des agressions physiques, notamment envers les femmes.
Alors, pour empêcher les harceleurs et agresseurs sexuels de gâcher la fête des femmes, les organisations non-gouvernementales et les associations féministes s'organisent. Soutenus par les autorités locales, ils ont entrepris depuis une poignée d'années de sensibiliser les spectateurs et participants à l'égalité et au respect du corps des femmes.
Parmi les solutions trouvées pour garantir la sécurité des femmes : la création de fêtes de quartier girl power ou de troupes féministes. En 2015, Debora Thome a pris à bras le corps le problème du harcèlement sexuel au Carnaval de Rio en créant "Mulheres Rodadas" (les femmes rondes, en portugais), une troupe qui sensibilise les hommes au respect du corps des femmes. Pour elle, le Carnaval constitue le moment idéal pour lutter contre le phénomène du harcèlement sexuel et sensibiliser les fêtards au respect des femmes. "Une femme peut être nue dans la rue, ça ne donne à personne l'autorisation de la toucher", rappelle Debora Thome, qui prépare pour la deuxième année consécutive avec les Mulheres Rodadas sa participation au grand Carnaval. Elles y feront la promotion d'une campagne de sensibilisation au harcèlement sexuel en utilisant le hashtag #CarnavalSemAssedio, ou "Carnaval sans harcèlement".
Avec l'autre co-fondatrice de Mulheres Rodadas Renata Rodrigues, Dobora Thome raconte qu'au départ, ce projet de protestation féministe était une simple blague. Elles ne s'attendaient pas à un tel retentissement : en l'espace de 24 heures, plus de 1 000 avaient annoncé leur participation sur Facebook, affirment-elles à ABC. Depuis, elles défilent chaque année avec la volonté de renverser les rôles traditionnels de genre.
Car c'est l'autre gros problème du Carnaval de Rio : les stéréotypes de genre y sont fortement ancrés. Des chansons sexistes entonnées par la foule à la participation des femmes, forcément cantonnées au rôle de danseuse, tandis que les hommes sont valorisés à des rôles plus prestigieux. Celui de musicien, notamment.
Se faire accepter comme musicienne reconnue, c'est le combat de Daiane Moteiro. À 29 ans, la jeune femme joue d'un instrument appelé l'agogo dans l'une des écoles de samba les plus prestigieuses de Rio. Interrogée par dw.com, elle explique que pour elle, l'inclusion des femmes à des rôles jusqu'ici occupés par les hommes est un élément clé de la lutte contre le harcèlement sexuel. "En tant que femmes, nous avons la liberté de montrer notre corps si nous le voulons", a déclaré Monteiro. "Maintenant, nous pouvons même jouer dans les écoles de samba, dans le passé c'était plus une activité masculine." Mais, regrette-t-elle, "les femmes ont beau être partout dans les fanfares et dans les écoles de samba, elles ne deviennent pas professeur de musique, elles ne dirigent pas les orchestres et ne prennent pas de décision".
Un point de vue partagé par les fondatrices de Mulheres Rodadas. "Le carnaval est juste un petit morceau d'un problème beaucoup plus grand", analyse Renata Rodrigues.
Dans ce pays où le mouvement #MeToo peine à prendre de l'ampleur et à mobiliser, le taux de féminicides est l'un des plus élevés du monde, rappelle l'ONG brésilienne Mapa da Violencia. Selon un rapport de sécurité publique datant de 2014, une personne est violée toutes les 11 minutes au Brésil, et le nombre réel, y compris les cas non signalés, est probablement beaucoup plus élevé. Le pays enregistre également l'un des taux d'homicides les plus élevés au monde. Même si les meurtres de femmes blanches ont diminué, le nombre de femmes noires tuées a augmenté ces dernières années.
Dans ce contexte, difficile de mobiliser pour les droits des femmes et autour des valeurs du féminisme. Fortement marqués par la société patriarcale, les Brésiliens sont encore trop peu sensibilisés à la question, pourtant primordiale, du consentement. Un sondage réalisé en 2016 par Data Popular, une société de recherche basée à Sao Paulo, a montré que 61% des hommes pensaient que les femmes célibataires fréquentant le Carnaval ne devraient pas se plaindre du harcèlement sexuel et 49% ont convenu qu'assister à une fête de quartier n'était pas une activité pour les femmes décentes.
Pour autant, les militantes féministes ne désespèrent pas. Cette année encore, elles seront mobilisées pour défendre le droit des femmes à assister aux festivités en toute sécurité et à s'habiller comme bon leur semble. "Au Brésil, les femmes n'ont pas la liberté de se promener dans la rue, ce qui fait qu'elles sont particulièrement exposées", déplore Analba Brazao, une activiste de l'organisation féministe SOS Corpo citée par un article du site dw.com. "Notre combat est d'avoir le droit d'être dans le public tout en étant en sécurité."