"La propreté de notre société repose sur leur travail, sur leur dos courbé pour nettoyer notre espace public, gares, bureaux, toilettes, notre espace privé, et ce pour moins que le SMIC". On ne peut guère faire plus clair que ces mots de Fatima Benomar, membre d'Osez le féminisme et cofondatrice de l'association Les Effronté·e·s. "Leur" travail, c'est celui de la vingtaine de femmes de chambre qui, depuis le mois de juillet 2019, se sont mises en grève afin de dénoncer leurs conditions de travail. Car oui, cela fait plus d'un an que les employées de l'hôtel Ibis des Batignolles, à Paris, fustigent cette exploitation.
Et ce malgré la réouverture dudit hôtel ce 1er septembre, annoncée par le site d'infos pour les mouvements sociaux Rapports de force. Qu'importe, le combat continue afin d'interpeller le groupe ACCOR, gestionnaire de l'hôtel. Un combat travailleur, social, syndical, féministe. Employées grévistes, militantes et syndicalistes se réunissent ce 1er septembre aux portes de l'établissement, porte de Clichy. L'idée ? Réactiver le débat avec les responsables du groupe, aboutir à de nouveaux droits et à un meilleur statut pour les plus précaires. En somme, lutter pour un "monde d'après" plus égalitaire.
"Les clients d'hôtel ne voient normalement jamais les subalternes : leur employeur fait tout pour les rendre les plus invisibles possible. Mais aujourd'hui, les femmes de chambre se réapproprient l'espace et mettent au jour la pénibilité de leurs conditions de travail", se réjouit dans les pages de Libération l'historienne et maîtresse de conférences à l'université de Rouen Ludivine Bantigny. Soutien de cette grève, l'experte en mouvements populaires voit là un soulèvement salvateur contre la précarisation croissante des contrats - et des conditions - de travail.
"Tous les critères sont réunis pour altérer la lutte de ces employées : les faibles revenus, les horaires et cadences intenses, les situations familiales parfois très compliquées", déplore-t-elle à ce titre, insistant sur la situation professionnelle fragile de toutes celles qui doivent concilier sous-traitance et lourdes cadences. Mais malgré la dureté de la lutte, "leur chance de victoire est donc bien réelle", assure encore l'historienne.
Touré, qui travaille sur le site de Batignolles depuis un an et demi, racontait à Bastamag en mai dernier : "Le travail est très dur, ils ne nous respectent pas. Mon contrat est de cinq heures par jour mais j'en travaille sept, et à la fin du mois, je ne suis payée que pour cinq." De son côté, Rachel, embauchée il y a 17 ans, souffre d'une tendinite. Elle confiait la pénibilité de son travail : "Souvent j'ai mal. Je me suis fait mal aussi au dos. Ce boulot, ça abîme. Si on était directement embauchées par Accor, je pense que ça irait mieux. Ceux qui travaillent directement avec les hôtels, ils ne font pas 30, même 40 chambres par jour comme nous."
Sous le tweet de Fatima Benomar, les témoignages abondent pour fustiger le traitement de ces femmes de l'ombre. Prestataires sous-payées ("800 euros par mois"), négligées, invisibilisées, oeuvrant dans des conditions critiques (comme l'exposition quotidienne aux produits chimiques)... Les raisons de la colère ne manquent pas. Le groupe ACCOR, de son côté, a tenté de répondre. Et assure que "des discussions sont en cours dans le but de trouver des solutions durables et satisfaisantes pour les différentes parties".
La lutte des femmes de chambre n'est pas une exception culturelle. Partout, elle se déploie. En Espagne par exemple, où le collectif militant "Las Kellys" se soulève depuis des années pour protester contre les conditions pros déplorables, entre sous-traitance et surcharge de travail, de "las que limpian": "celles qui nettoient".