Le 24 juin 2022, la Cour Suprême des Etats-Unis a décidé de révoquer l'arrêt Roe vs Wade qui, depuis 1973, accordait aux Américaines le droit d'avorter dans tout le pays. Une révocation qui a donc laissé aux Etats la liberté d'autoriser (ou pas) le droit des femmes à disposer librement de leur corps...
Okay. Mais neuf mois plus tard, où en est où au juste ?
Fin juillet, un rapport du Guttmacher Institute, institut de recherche et de statistiques dédié au contrôle des naissances et aux données relatives à l'avortement, tire la sonnette d'alarme : 43 cliniques américaines situées dans onze Etats différents ont déjà arrêté de pratiquer des avortements. Et ce un mois seulement après la décision de la Cour suprême. Parmi les 43 cliniques ayant tiré un trait sur l'IVG, 23 prennent place au Texas.
Rien d'étonnant. Les représentants du Texas règlent leurs pas sur ceux de la législation dite du "heartbeat", interdisant l'avortement dès qu'une échographie peut détecter un "battement du coeur" du foetus. Un terme "trompeur à ce stade du développement de l'embryon", rappellent à raison les professionnels de la médecine.
Le même mois, la Caroline du Sud déploie une proposition de loi, la "loi S. 1373", afin de rendre illégale toute diffusion d'informations à propos de l'IVG, et censurer la diffusion desdites infos sur le web. Loi qui vise une interdiction des services téléphoniques proposant les données en question, l'hébergement de sites Web et de services Internet contenant des informations susceptibles d'être utilisées pour un avortement.
Le 2 août, les électeurs du Kansas votent en faveur de la préservation du droit à l'IVG, en rejetant un amendement visant à supprimer de la Constitution le droit à l'IVG. En privilégiant le "NO" à l'encontre de cet amendement, les votants rappellent le caractère profondément constitutionnel de ce droit fondamental. Le droit à l'avortement reste alors autorisé jusqu'à 22 semaines de grossesse au sein du Kansas.
Les élections de mi-mandat ont lieu le 8 novembre aux États-Unis et le droit à l'avortement n'a pas forcément droit à une grande résonance dans les débats politiques. Il est tout de même défendu par les démocrates et inclus dans le scrutin du Kentucky, de la Californie, du Michigan. Le même mois, une enquête Siena/New York Times nous apprend que l'avortement ne serait une priorité... que pour 5 % des Américains. Oui, ça fait très mal.
Le même mois en Californie, les électeurs inscrivent le droit à l'avortement dans la Constitution de l'État. C'est donc la loi de l'État qui protège toutes celles qui souhaitent avorter. Même chose dans l'Etat du Vermont et au Michigan. Pour ces Etats, il s'agit là d'un "droit constitutionnel". De quoi horrifier les électeurs de l'Alabama, l'Arkansas, l'Oklahoma, de la Louisiane, du Missouri ou encore du Dakota du Sud, qui s'opposent à la chose.
En Géorgie, un juge stipule d'ailleurs que l'interdiction de l'IVG est "inconstitutionnelle". Mais la Cour suprême de l'État finit par rétablir l'interdiction pendant qu'un appel de cette décision est en cours. L'avortement reste interdit après six semaines de grossesse.
En ce début d'année, les responsables sanitaires de l'Agence américaine des médicaments tiennent à rassurer les défenseurs des droits fondamentaux des femmes : la vente de pilules abortives devrait être autorisée dans les pharmacies aux États-Unis.
Cependant, cette autorisation ne concerne que les Etats qui autorisent déjà l'avortement. En outre, elle ne peut se faire sans la présentation d'une ordonnance, et donc, sans l'accord au préalable d'un médecin. Qui plus est, il revient aux pharmacies certifiées "de décider d'accepter ou non les prescriptions".
Ce qui fait beaucoup de facteurs.
Pendant ce temps en Idaho, la Cour suprême statue "qu'il n'y a pas de droit constitutionnel à l'avortement". Presque tous les avortements sont interdits.
Où en est-on ? Le New York Times résume bien la chose dans cette cartographie détaillée : l'avortement est totalement illégal, et ce sans exceptions (c'est à dire, en cas de viol, d'inceste), dans les Etats suivants : Alabama, Arkansas, Kentucky, Louisiane, Missouri, Oklahoma, Dakota du Sud, Tennessee, Texas, Wisconsin.
Rappelons qu'en 2021 déjà, une loi texane interdisant l'avortement dès six semaines de grossesse, même en cas de viol ou d'inceste, recevait l'aval de la Cour suprême des Etats-Unis, et suscitait l'indignation.
Ce droit à l'avortement reste très limité en Géorgie, puisqu'interdit après six semaines seulement de grossesse. L'avortement est interdit après 15 semaines de grossesse en Arizona, en Floride, 18 semaines dans l'Utah et 20 en Caroline du Nord.
Il est par contre autorisé jusqu'à 22 semaines de grossesse en Indiana, Iowa, Dakota du Nord, Ohio, Kansas, Nebraska, Caroline du Sud, Pennsylvanie; New Hampshire, Massachusetts, Nevada.
Certains Etats l'autorisent carrément sans limite de gestation : c'est le cas de Washington D.C., du Colorado, du New Jersey, du Nouveau Mexique, de l'Oregon, du Vermont. Tous ces Etats dits "pro-choix" sont qualifiés par les femmes concernées de "sanctuary states" : "État sanctuaires".
Pendant ce temps, le 15 mars, un juge fédéral ultra-conservateur a examiné une demande de suspension de l'autorisation de la pilule abortive aux Etats-Unis, suite à la déposition de nombreux recours (par des opposants à l'IVG) jugeant ladite pilule "dangereuse" pour la santé des femmes.
Une nouvelle crainte se profile : celle de voir la pilule abortive être interdite sur l'ensemble du territoire... Ce qui irait totalement à l'encontre des promesses antérieures de l'Agence américaine des médicaments.
Autre mauvaise nouvelle : un législateur républicain, Bob Harris, a défendu en parallèle au sein de l'Etat ultra-conservateur de Caroline du Sud un texte de loi proposant de punir très sévèrement toutes les femmes qui ont recours à l'IVG. Les punir... Jusqu'à la peine de mort. Oui, rien que ça.
Le combat n'est pas terminé donc, et loin de là même. Comme l'a confié à Terrafemina la spécialiste des mouvements féministes aux Etats-Unis Hélène Quanquin, "l'interdiction de l'IVG est susceptible de mettre en danger la vie de nombreuses femmes dans un pays où le taux de mortalité maternelle est déjà très élevé, notamment chez les femmes noires : elle aura des effets dévastateurs sur la santé des femmes".