Le jeûne intermittent (ou régime 16:8) est partout, et surtout sur les pubs sponsorisées sur Instagram. Un post sur deux, on nous vend une habitude alimentaire révolutionnaire, imaginée par deux journalistes américains du magazine Men's Health (outre-Atlantique, il est baptisé "intermittent fasting") qui va réguler notre faim et nous faire brûler des calories.
La seule chose à faire : ne pas manger pendant 16 heures d'affilée, puis prendre des repas normaux pendant les huit qui restent. Ou en d'autres termes : sauter le petit-déj'. Pour certain·e·s, le réflexe n'a rien de bien nouveau, puisqu'il n'est pas rare que la faim survienne plutôt à midi que le matin, et qu'on zappe par conséquent la case céréales au saut du lit. Mais pour d'autres, cela implique une privation qui pourrait s'avérer contre-productive.
On a discuté avec la diététicienne Fabienne Pommera, autrice du blog La nutrition facile, des points positifs et négatifs de cette pratique restrictive. Et si la praticienne, qui respecte la charte du GROS (Groupe de réflexion sur l'obésité et le surpoids) et propose un accompagnement diététique sans régime axé sur l'écoute de son corps, ne la condamne pas, elle alerte tout de même sur les dangers de la frustration qu'elle implique. Explications.
Fabienne Pommera : Oui et non. Souvent, on attend du jeûne intermittent une perte de poids. Cela reste un régime. C'est du contrôle mental de ce que l'on mange et à quel moment pour pouvoir ensuite contrôler son poids. On se dit : "j'ai faim mais je ne mange pas car ce n'est pas encore l'heure". Et c'est en ça que je trouve le jeûne intermittent quelque peu déstabilisant.
Dès qu'il y a du contrôle mental, on finit par manger moins de calories que ce que l'on dépense et c'est ça qui fait perdre du poids. Mais se donner des règles, ça ne marche qu'un temps : si ça ne correspond pas à notre rythme naturel, ça ne va pas tenir longtemps.
Le véritable intérêt du jeûne intermittent, c'est pour les personnes qui se disent qu'il faut à tout prix prendre un petit-déjeuner, alors qu'elles n'ont naturellement pas faim à ce moment-là. Ce genre de régime correspond finalement à leur sensation de faim et de rassasiement. Et dans ce cas-là, tant mieux. Mais sinon, je ne vois pas l'intérêt car c'est modifier le comportement alimentaire en le déviant des sensations de faim.
F. P. : Comme n'importe quel régime, le jeûne intermittent va avoir un impact dans un premier temps. Et puis, ça a le mérite de faire "redécouvrir" la faim aux personnes qui sont déconnectées de leur sensation de faim.
Quand on attend 16 heures, cela permet de se rendre compte que c'est plus agréable de manger quand on a faim, ça réveille les sens et le côté naturel : on mange quand on le souhaite, on s'arrête quand on n'a plus envie de manger. C'est comme ça qu'on régule tout, d'ailleurs : le poids, mais aussi le fait d'être attiré par des aliments variés. On est omnivores et on a besoin de différents types de nutriments.
Ce qu'on recherche dans l'alimentation, c'est le plaisir aussi, le côté hédonique. La plupart des patients ont tellement de choses en tête sur ce qui fait maigrir et grossir que l'acte alimentaire en soi n'est même plus un plaisir, c'est une source d'angoisse. Et là, on perd le côté régulation naturelle. Car si on ne ressent pas de plaisir à manger, on n'est jamais rassasié, donc on a toujours envie de manger.
F. P. : Le danger, c'est que si le corps est frustré alors qu'il exprime un besoin via la faim, il va se dire qu'il est dans la privation et aura plutôt tendance à stocker plus et dépenser moins par la suite. Donc en faisant ça de façon pérenne, c'est contre-productif. Au début, on perd du poids et à la fin, on a plutôt tendance à entraîner le corps à grossir.
C'est le danger des régimes amaigrissants : on continue à les prescrire même si on sait que ça ne marche pas sur la durée. Il y a d'ailleurs des études qui datent d'il y a plusieurs années (en 2015, la docteure en psychologie Traci Mann démontre notamment une prise de poids post-diète, ndlr). Mais comme ça fonctionne à court terme, et que ça répond au besoin d'urgence des patients - voire des fois, même avec la meilleure volonté du monde, à l'urgence des médecins de voir maigrir leurs patients - qui se disent qu'ils ont besoin de maigrir tout de suite, on y a recours. Alors que ça entraîne à regrossir derrière. C'est reculer pour mieux sauter.
F. P. : C'est en fonction des habitudes et à voir comment la personne le perçoit. Il y a plein de gens qui ne prennent pas de petit-déjeuner et sont très bien comme ça. Ce que je conseille à mes patients, c'est de trouver le rythme qui les arrange.
Si c'est bien pour eux de ne pas manger pendant seize heures et qu'ils mangent des aliments variés et les calories que leur corps réclame, il n'y a pas de raison que ce dernier compense par la suite. Si au contraire, le jeûne est interprété comme une façon de contrôler leur poids, de ne pas manger alors que l'on a faim et d'être frustré, alors cela risque d'altérer la bonne régulation de l'organisme. C'est en tout cas mon intuition.
F. P. : Ecouter les messages de son corps. Manger quand on a faim et écouter ses envies, qui reflètent nos besoins caloriques, nutritionnels et émotionnels. On a faim du nombre de calories qu'il nous faut pour aller vers son poids naturel. C'est ce qu'on appelle l'alimentation intuitive.
Sur mon blog, j'explique qu'il s'agit de celle de nos enfants, leur façon innée de manger selon leurs envies et donc selon leur besoins. Ils ne se forceront pas à manger s'ils n'ont plus faim ni envie et sont également capables de manger sans faim, par gourmandise. Ils savent réguler.