Si sa marque de cosmétiques – et donc son nom – est mondialement connue, Jo Malone, elle, est d’une nature discrète. D’ailleurs, ce qui étonne d’emblée chez cette grande capitaine d’industrie est la douceur… de sa voix. Des propos pondérés qui laissent sans mal apparaître l’humilité du personnage. Invitée de l’émission Leading Women sur CNN International, Jo Malone – quinquagénaire souriante et affable – aime ainsi se présenter, certes, comme une « entrepreneuse », mais aussi et surtout comme une « commerçante et détaillante avec cette passion de créer et composer des parfums ». Car, oui, comme l’énonce la journaliste Nina Dos Santos, elle est la femme derrière l’une des marques de parfum les plus prestigieuses au Royaume-Uni, entreprise éponyme qu’elle a fondée, rendue populaire à l’international puis vendu au géant du cosmétique Estée Lauder en 2006. Une cession lucrative qui couronnait une indéniable success story mais accompagnée d’une clause contraignante – chose somme toute assez classique dans ce type de transaction. Ainsi, affaire faite, Jo Malone ne pouvait se réinsérer dans l’industrie pendant cinq ans, soit jusqu’en 2011.
Jo Malone et l’épicerie de son enfance
Une « pause forcée » qu’elle respecte scrupuleusement, avant de replonger avec délectation dans le grand bain. «N’est-ce pas ce le genre de situation que la vie nous réserve, parfois ? Il ne s’agissait pas uniquement de créer une marque et monter un business. Pour tout vous dire, le mot business n’est pas arrivé par hasard, c’est ma manière de vivre, ma passion. », énonce-t-elle. Et la self-made woman de repartir de zéro en lançant une nouvelle marque : Jo Loves, en référence à une épicerie où elle travailla durant son adolescence. Un rappel qui fait sens puisque Jo Loves entend représenter « cette créativité effervescente, la femme qu’[elle était] il y a peut-être 30 ans ». Et si l’on sent chez cette grande parfumeuse l’envie intacte d’en découdre, de ne pas se réposer sur ses lauriers, la source d’une telle motivation est peut-être à chercher du côté de sa vie privée, dans ses moments les plus sombres. Ainsi, a-t-elle connu la maladie, un cancer dont elle n’a pas su un temps si elle allait s’en sortir. « J’avais d’autres priorités (…) Ce que je n’avais pas anticipé, c’est cette passion en moi. C’était la seule chose que je pouvais faire de façon brillante », confie-t-elle avec pudeur.
La voici donc de retour au premier plan et déterminée comme jamais. Comment en pourrait-il être autrement pour celle qui affirme ne rien regretter de la vie (« surtout après avoir lutté contre un cancer ») ? « Parfois, dans la vie et dans les affaires, il est beaucoup plus intéressant d’apprendre de ses erreurs et de trouver un moyen d’aller plus loin que de simplement résoudre le problème. », argue-t-elle. Et de se permettre, ici, quelques remarques plus introspectives : « En affaires, le voyage est parfois bien plus agréable que la destination. Je ne suis pas la plus fine, la plus intelligente ou la plus créative du monde, mais j'apprécie vraiment ce voyage créatif. » L’humilité toujours, comme le meilleur bouclier face à l’adversité. Ainsi, lorsque Nina Dos Santos lui rappelle avec justesse que sa propre histoire «sort de l’ordinaire », Jo Malone répond que c’est le cas de la plupart des entrepreneurs qu’elle connaît. Et ce, avant de se laisser aller à quelques confidences sur son passé : « A partir de mes 14 ans, j'ai dû subvenir aux besoins de ma famille. Mon père était un homme et un artiste brillant mais il pariait de l'argent comme si cela n'avait aucune conséquence. Ma mère avait fait une terrible dépression, et j'ai appris à fabriquer moi-même des crèmes pour le visage. »
Devenir chef d’entreprise étant, à ses yeux, une « question de survie », Jo Malone a su faire preuve de perspicacité. Un judicieux bilan de compétences avant de se lancer dans la grande aventure. Elle se confie ici avec une désarmante sincérité : « Je suis dyslexique donc je serais incapable d'écrire une lettre ou de déchiffrer un graphique mais j'utilise mon odorat comme si c'était mes yeux ou mes mains. C'est quelque chose de naturel pour moi. » Conscient du talent exceptionnel de sa femme, et évidemment soucieux de son épanouissement, son mari Gary Willcox l’a évidemment encouragée dans cette nouvelle voie. Jo Malone profite donc de cette interview à CNN pour lui rendre la pareille : « En fait, sans lui, je ne voudrais pas diriger une entreprise. Gary est tout pour moi. Il savait équilibrer les budgets, faire tourner l'équipe et lorsque nous avons tout recommencé de zéro, je n'aurais pas imaginé le faire sans m'associer avec lui. Il m'a dit, "Vas-y, vis ton moment à la Jesse Owens." Cela m'émeut d'y penser. Et il a ajouté, "Trouve la trajectoire dans laquelle tu te sens bien et fonce, car c'est comme ça que j'aime ma femme”. Et pour moi, cette trajectoire, c’est la créativité. » Et de conclure, avec cette optimisme et cette conviction qui, décidément, ne la quittent jamais, « je pense que ma meilleure idée me viendra en 2015 ». Difficile, il est vrai, d’en douter…
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