"Méchante", "Horrible", "Totalement antipathique", "Un monstre". Ce sont ces jolis compliments qu'a décochés Donald Trump à l'adresse de Kamala Harris après débat vice-présidentiel du 7 octobre dernier. Le président des Etats-Unis a même qualifié la potentielle future vice-présidente - en cas de victoire du démocrate Joe Biden - de "communiste", comme à son habitude. Ne manquait plus que le mot "féministe" pour synthétiser ses hantises.
On a l'habitude voir Trump délivrer des mots doux à ses opposants ou détracteurs, qu'ils soient politiciens ou journalistes. Mais sa véhémence à l'égard de la sénatrice californienne est un cas d'école. Car comme l'indique le Guardian, la politicienne porte sur elle une forme de "double peine" qui inspire au président bien des sortes de remontrances : elle est à la fois femme et noire. L'attaquer est donc devenu une habitude.
Dès sa nomination, Donald Trump remettait en cause ses origines ("elle n'est pas née dans ce pays"). Et sa rhétorique actuelle épuise un stéréotype raciste vieux comme le monde : celui de la "femme noire en colère", décortiqué par l'autrice féministe Soraya Chemaly dans son bien nommé Le pouvoir de la colère des femmes. Stigmatisations racistes et sexistes font plus que jamais partie de l'Amérique selon Trump.
Employer l'expression de la "femme noire en colère" ? Pas de quoi surprendre le New York Times, qui voit en les saillies de Trump "un langage déshumanisant, plein de perceptions biaisées sur la façon dont les femmes devraient se comporter, dont les personnes de couleur devraient se comporter, et surtout dont les femmes de couleur devraient se comporter".
Selon la professeure agrégée de sciences politiques Nadia E. Brown, le cliché de la femme noire colérique voire "castratrice", celle qui s'emporte volontiers et vient bousculer le monde des "blancs becs" trop coincés avec ses affects exacerbés, a été popularisé dès les sitcoms des années 50.
Dans Le pouvoir de la colère des femmes, Soraya Chemaly rappelle quant à elle que ce stéréotype est une pure construction culturelle du patriarcat blanc. La "rageuse noire" serait celle qui "cherche la bagarre" en permanence, la femme irritable, provoc', belliqueuse, opposé total d'une autre construction culturelle patriarcale : celle de la femme blanche, jeune, forcément pure, innocente et candide.
Une vision fantasmée et discriminante, non dépourvue de peur face à une colère qui peut tout aussi bien être antisexiste, antiracisme, anticapitaliste. "[Exploiter ce cliché] est une tactique misogyne. Nous ne verrions pas ces stéréotypes et ces menaces utilisés contre elle si elle n'était pas une femme noire", déplore Nadia E. Brown. Des tactiques que l'ex-First Lady Michelle Obama a volontiers subies par le passé.
Autre hypothèse : Donald Trump considère Harris comme une femme "monstrueuse", simplement parce qu'ellee est ambitieuse. Une qualité travestie en défaut selon les genres. "L'ambition est toujours considérée comme une qualité admirable chez les hommes et une qualité discutable chez les femmes. On observe toujours un malaise avec les femmes ambitieuse", abonde à ce titre Debbie Walsh, la directrice du Center for American Women and Politics de l'Université Rutgers (New Jersey), interrogée par le Guardian.
Cette représentation bien réac correspond finalement à une assertion sexiste selon laquelle "les femmes peuvent être considérées comme des leaders ou bien considérées comme des femmes, mais les deux ne vont pas ensemble", comme le résume avec amertume la politologue Amanda Clayton au New York Times.
Mais hormis les pro-Trump déjà convertis, l'électorat populaire tombera-t-il dans le panneau de ces discours peu élaborés ? La commentatrice politique de CNN Tara Setmayer croise les doigts pour que le peuple réponde par la négative. "Ce que j'espère, c'est qu'il y a plus de gens sensés qui veulent voir l'unité et non la division. Et que ce type de haine raciale ne sera plus accepté", insiste-t-elle du côté du Guardian.
On l'espère aussi.