"La fin des coquillettes est un récit d'aventures, à condition que vous considériez que découvrir le lien entre les coquillettes, Jacques Chirac et le sabotage d'un parc d'attractions foireux des années 90 est une aventure".
Voilà pour la présentation pas piquée des hannetons du dernier opus de Klaire fait Grr, autoproclamée "autrice énervée et interprète marrante", que vous connaissez certainement pour ses podcasts, ses spectacles (Le temps des sardines) et ses livres - le bien nommé Chattologie, avec Louise Mey.
Si vous ne la connaissez pas, le livre en question devrait être une révélation : dès à présent en librairies, le joliment illustré La fin des coquillettes est la parfaite introduction à l'univers d'une autrice capable de débrancher le patriarcat en vous causant de nouilles, de crêpes et de cassoulet. Oui oui.
Le concept est limpide : Klaire invoque mille "fun facts" - faits amusants - en relatant par exemple la grande odyssée des pâtes, les origines de le l'expression "avoir la puce à l'oreille", la genèse du parc d'attractions Mirapolis, le sens de la comptine "La mère Michel" (et ce sagouin de Père Lustucru)... Et en déduit de cinglantes conclusions sur ce que la grande histoire d'hier raconte sur celle d'aujourd'hui. Absurde ? Pas tant, quand certaines choses perdurent.
Au hasard, le sexisme.
Résultat ? C'est drôle. Très très drôle. Et réjouissant.
Avec un art de la narration hérité du podcast (très incarné) comme du stand up (ponctué de digressions al dente), Klaire fait Grr va nous expliquer pourquoi le suffixe -ette (comme dans les Claudette) est un très bon exemple de paternalisme, relater le sort du singe de Michael Jackson, passer en revue les relectures de contes de fées en comparant cela aux diverses manières de jouer au UNO et... A la diabolisation anti-woke du cassoulet végétarien.
Surtout, La fin des coquillettes passe au crible les traditions qui font notre folklore : rituels absurdes - et souvent, ô comme c'est curieux, misogynes - fêtes de villages, origines des mots, des histoires orales... Pour mieux en rire (jaune) déjà, et nous expliquer en quoi cela en dit - toujours - long sur notre société actuelle, ensuite. En liant savoirs factuels, recherches historiques et fantaisie, Klaire fait Grr se rapproche d'une autre grande autrice féministe actuelle : Titiou Lecoq et son Les grandes oubliées de l'histoire.
Deux noms fortement recommandables.
D'accord, mais quel rapport au juste entre les pâtes et le patriarcat ? Hormis cette curieuse harmonie des sonorités (un premier indice chez vous), il y en a bien plus qu'on ne pourrait le croire. Mais le mieux est encore de le découvrir à travers cette lecture qui, on vous l'assure, apporte des réponses concrètes à ce grand mystère existentiel. Klaire l'affirme d'ailleurs en épilogue : "Que voulez vous, il y en a qui lisent l'avenir dans le marc de café, moi c'est le patriarcat dans les nouilles, chacun sa croix".
Tout cela a l'air insouciant, ca ne l'est pas : le style de Klaire fait Grr l'érige à la fois en héritière et incarnation du meilleur du matrimoine féministe. Autrement dit ? Ce goût prononcé pour le bon mot qui claque, que l'on retrouvait dans les slogans des manifestations d'antan, comme dans celles d'aujourd'hui, riche de voix toujours aussi inspirées. Le fameux état d'esprit "Une femme sans homme, c'est comme un poisson sans bicyclette". A l'unisson, c'est l'irrévérence en bandoulière que Klaire façonne ses réflexions impertinentes.
Elle a bien raison. A l'heure où une référence ultime du féminisme comme Patrick Sébastien donne des leçons aux femmes humoristes (ne pas parler de leurs règles, dire "bite et couille", ne pas parler de sodomie non plus, la liste est longue comme un jour sans pain) la drôlerie de Klaire fait Grr fait l'effet d'un poing levé. Parce qu'il vaut parfois mieux rire que pleurer, et qu'un livre peut s'apparenter à une arme de dérision massive. Réjouissant.
La fin des coquillettes, un récit de pâtes et d'épées, par Klaire fait Grr
Binge Audio Editions, 190 p.
A retrouver dès à présent en librairies