Culture
"Les chevaux de Dieu", de Nabil Ayouch : "Mettre des visages sur cette violence"
Publié le 20 février 2013 à 16:23
Par Laure Gamaury
Près de dix ans après les attentats de Casablanca en mai 2003, Nabil Ayouch, réalisateur franco-marocain, livre « Les Chevaux de Dieu », la genèse de ce basculement, au cœur même des bidonvilles. Violent, dérangeant, le long-métrage retrace plusieurs années de la vie de deux frères, de l'enfance à la vie adulte, des premiers larcins aux ablutions méthodiques recommandées par les Islamistes, en passant par la case prison. Entretien avec Nabil Ayouch.
"Les chevaux de Dieu", de Nabil Ayouch : "Mettre des visages sur cette violence" "Les chevaux de Dieu", de Nabil Ayouch : "Mettre des visages sur cette violence"© Abaca
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Terrafemina : Le 16 mai prochain, les cinq attentats perpétrés en 2003 à Casablanca auront 10 ans. Comment est venu l’idée d’un tel film ?

Nabil Ayouch : L'idée du film « Les chevaux de Dieu » m’est apparue immédiatement le lendemain des attentats à Casablanca. En réaction, je suis descendu dans la rue pour manifester contre ce massacre destiné à détruire la diversité culturelle du Maroc et j’ai filmé la réaction des Marocains. Mais cette démarche m’a laissé un goût d’inachevé. J’ai pris du recul et me suis renseigné sur les faits. J’ai alors découvert que les jeunes kamikazes étaient issus du bidonville de Sidi Moumen où j’avais déjà tourné des scènes pour un film et que les victimes étaient des deux côtés. J’ai décidé d’y retourner et de filmer la jeunesse, de comprendre pourquoi et comment ils en étaient arrivés à cette fin.

Tf : Tourner au Maroc dans des quartiers populaires a-t-il été difficile ?

N. A. : Pour les autorisations de tournage, il n’y a pas vraiment eu de difficultés. C’est plutôt au quotidien, dans le bidonville où nous tournions que nous devions affronter la violence physique et morale. Mais c’était aussi un choix pour donner au film une atmosphère très réaliste. J’ai renoncé à tourner à Sidi Moumen car en quelques années, le bidonville s’est transformé : des barres d’immeubles sont sorties de terre. Le gouvernement y a mis en place une politique de relogement à grande échelle après les attentats de 2003.

Tf : Vous avez fait le pari risqué d’engager des acteurs non-professionnels pour les rôles principaux. Pourquoi ?

N. A. : Je voulais que les personnes portent leur histoire. J’ai mis deux ans à trouver les acteurs dans les quartiers populaires et les bidonvilles de Casablanca. Avec une équipe d’une vingtaine de personnes, nous avons auditionné des milliers de jeunes et travaillé avec eux sans relâche avant d’arrêter notre choix. J’ai cessé de douter du casting environ deux mois avant le début du tournage.

Tf : La violence est omniprésente tout au long du film. D’ailleurs, la première scène en est une illustration parfaite. Qu’espériez-vous démontrer dans « Les Chevaux de Dieu » ?

N. A. : Il n’y a pas une raison unique pour laquelle on devient kamikaze. Il me fallait montrer les chemins et les parcours qui mènent à cet extrémisme religieux. La violence fait partie de leur vie quotidienne dès leur plus jeune âge. Je voulais mettre des noms et des visages sur cette violence, arrêter de la désincarner car je pense que ce n’est pas une solution. En apportant des nuances et une touche d’humanité, elle se comprend plus aisément. Et puis, il n’y a pas eu de véritable débat public au Maroc après ces attentats. Les Marocains ont manifesté mais rapidement, ils ont voulu tourner la page. Or il est important d’avoir des discussions à ce sujet pour lutter plus efficacement.

Tf : Le film est sorti au Maroc il y a deux semaines. Quels ont été les premiers retours ?

N. A. : Étant donné le nombre de salles dans lequel il est sorti, il fonctionne très bien. Les critiques sont dans l’ensemble élogieuses. Les spectateurs qui l’ont vu s’approprient aisément la thématique et adhèrent au propos du film. Je pense que « Les chevaux de Dieu » leur permet d’identifier la misère de cette partie de la population. Car 90% des Marocains n’ont jamais mis les pieds dans un bidonville. Il leur manquait un bout de l’histoire pour comprendre ces attentats.

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