On sous-estime largement le poids des tâches ménagères lorsqu'on considère l'inégalité hommes/femmes. Car si des efforts sont faits pour équilibrer les salaires et briser le plafond de verre, le déséquilibre dans la répartition du ménage ou de la gestion du foyer familial est un phénomène connu, mais très peu traité. Voilà ce que dénonce le rapport "Not Ready, Still Waiting" présenté à l'ONU par l'ONG ActionAid. Il tire la sonnette d'alarme sur la situation d'inégalité des femmes en fournissant pour la première fois des estimations précises, qui permettent de qualifier et de quantifier ce "deuxième travail" que les femmes sont forcées d'endosser : être la maîtresse de maison.
D'après les données relevées par l'association dans 217 pays, une femme effectue un mois de travail de plus qu'un homme chaque année. Et il ne s'agit pas d'un mois passé à travailler pour elles : le treizième mois, chez les femmes, est non rémunéré et exclusivement consacré aux tâches ménagères.
Ce mystérieux ensemble des "tâches ménagères" désigne en fait tous les travaux et les soins pour le foyer et la famille : s'occuper des enfants, faire le ménage, la vaisselle, les courses, les lessives, ou la cuisine ; prodiguer des soins aux membres les plus jeunes, fragiles ou âgés de la communauté, participer aux tâches collectives, aller chercher de l'eau et du bois dans les zones isolées et rurales... Dans les pays développés –qui sont les plus affectés par ce phénomène- comme le Royaume-Uni, une femme passera donc deux ans et demi de plus qu'un homme à travailler. Et ce, évidemment, au détriment de ses opportunités professionnelles, de son loisir, ou de sa santé...
Or, d'après The Guardian, qui a relayé l'enquête d'ActionAid, la colossale charge de travail supplémentaire et non rémunéré qu'elles endossent sans aucune contrepartie les pénalise considérablement. Pour réussir à entretenir leur foyer, elles vont devoir, consciemment ou non, faire des sacrifices auxquels les hommes n'auront même jamais à réfléchir, que ce soit au niveau de leurs opportunités professionnelles, de leurs loisirs ou de leur bien-être. A plus grande échelle, c'est aussi ce qui les conduit à s'effacer dans des domaines très compétitifs et masculins, comme la finance ou les sciences, ou ce qui explique pourquoi elles ont plus de mal que les hommes à faire entendre leurs voix en politique et au sein des grandes institutions.
Et à la manière d'une machine diaboliquement bien huilée, le déséquilibre dans la répartition des tâches ménagères fait naître dans son sillage une multitude d'autres inégalités, puisqu'il rend la femme moins disponible mentalement et physiquement que les hommes, jusqu'à ce qu'elles n'aient plus les mêmes chances de réussite qu'eux.
"Le travail des femmes –dans le foyer comme à l'extérieur- est primordial pour le développement durable et le bien-être de la société. Sans ce travail, l'économie mondiale ne pourrait fonctionner. Et pourtant, il est dévalué et rendu invisible la plupart du temps", plaide Girish Menon, le directeur d'ActionAid.
Car aux grands maux les grands moyens... Ou presque. En effet, on compte très peu de mesures visant à corriger le déséquilibre dans le partage des tâches ménagères : le phénomène est tout à la fois sous-estimé et méprisé. Alors qu'une étude intitulée "Où est l'argent pour les droits des femmes ?" menée par le Comité ONU Femmes France et publiée le 15 septembre dénonçait déjà le manque de moyens dédiés au travail sur la parité, le rapport d'ActionAid confirme la généralisation de cette absence d'investissement dans la lutte contre les inégalités des sexes. L'addition est salée, et comme toujours, ce sont les femmes qui régalent -au prix de leurs carrières et de leur bien-être.
C'est pourquoi l'ONG ActionAid milite pour mettre en place des solutions pratiques pour soulager les femmes et leur offrir une compensation face à ce travail supplémentaire : "Nous ne voulons pas suggérer que tout le travail non-rémunéré, y compris les tâches ménagères, devrait être payé : il est de toute façon bien trop difficile d'attribuer une valeur monétaire au fait de s'occuper de ses enfants, par exemple. Mais nous pensons que ce travail non-rémunéré qui incombe aux femmes devrait être reconnu, réduit et redistribué –entre les hommes et les femmes, entre les ménages et la société", explique Girish Menon à The Guardian. Il encourage les gouvernements des Etats développés à soutenir les femmes pour rééquilibrer la situation, notamment en proposant des aides pour les gardes d'enfants, des services publics de ménage à bas prix, ou l'obligation pour les entreprises de mettre en place des espaces de travail "family-friendly" (avec garderie par exemple) pour faciliter la vie des mères de famille actives.
D'après le site américain Salary.com, qui s'est donné pour mission d'évaluer la valeur financière du travail d'une mère, elle toucherait en moyenne 7000 euros pour 58 heures supplémentaires hebdomadaires. Nos plus grands travailleurs illégaux sont donc des femmes, et il serait peut-être temps que la société le reconnaisse et régularise leur situation.